revoir ; les Tatares sont là, il faut aller les recevoir. » A peine est-il en selle, on lui apporte une lettre. Le cœur palpitant, la main tremblante d’émotion, il brise le cachet et lit : « C’est fini ! je suis arrivée où j’en voulais venir. Mon cœur est tout changé, et il n’y a plus de retour possible. Adieu peut-être pour toujours. » Il faillit en mourir, mais il n’en mourut pas ; il commençait à la connaître.
Quelques années plus tard, il fait campagne en Hongrie. Il passe ses nuits sans dormir et ses jours sans manger ; il se ronge de soucis, il travaille, il peine, il ruine sa santé ; il y va du salut de la Pologne. Quelle sera sa récompense ? Il se promet, il ose se flatter de revoir Astrée dans la saison « où les nuits sont les plus longues. » Espérance téméraire, vœu indiscret, qu’elle a mal accueilli. Il se résigne : « Je crois comprendre, d’après vos lettres, que c’est contre votre tempérament, et que vous devez vous faire violence à cet égard. J’aime mieux alors faire le sacrifice de mon grand plaisir, en vous épargnant la moindre peine. J’y renonce donc et m’en fais la promesse à moi-même. » Et il répète son antienne : « Je me contenterai de baiser en imagination, comme je fais maintenant, tous les charmes d’un corps adoré. » Après tout, ne le plaignons pas trop : il exagérait les cruautés d’Astrée, elle ne disait pas toujours non : elle lui a donné douze enfans.
Les Polonais ont raison d’affirmer qu’il fut sous le charme jusqu’à la fin. On avait dit de Marie de Gonzague qu’elle conduisait son roi « comme un petit Éthiopien son éléphant. » Marysienka mena toujours son lion en laisse ; il protestait, tirait sur la corde, il ne la rompit jamais. Il est également certain qu’elle possédait plus que toute autre femme le talent de diminuer, de rapetisser les hommes qui avaient l’imprudence de l’aimer. Incapable de tout mouvement généreux, la cupidité était sa passion dominante. Elle avait été élevée à bonne école. Marie, sa protectrice, qui l’avait débourrée et façonnée, était très âpre au gain et, en prenant possession de son royaume, n’avait songé tout d’abord qu’à se garnir les mains. Mais Marie était une Gonzague ; elle avait une de ces âmes fortes et étoffées, qu’ennoblissent les grandes situations et les grandes adversités. A l’heure des épreuves suprêmes, quand la Pologne, envahie de toutes parts, « nageait dans le sang et qu’on ne tombait que sur des corps morts », sa reine lui donna l’exemple des résistances désespérées, qui préparent les revanches. Marysienka n’avait aucune vocation pour le métier d’héroïne ; elle n’aima jamais que Marysienka, elle l’aima tendrement, et passa sa vie à se faire du bien.