Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’aise. Elle ne les quittait pas, elle savait qu’il viendrait l’y rejoindre, qu’elle et lui étaient gens de revue.

Héros doublé d’un sybarite et tour à tour le plus entreprenant, le plus actif ou le plus indolent des hommes, il eut de grandes inspirations, il n’eut jamais l’esprit de devoir, et il sacrifia souvent les intérêts de l’État à son repos et à ses plaisirs. En 1682, le vice-chancelier de Lithuanie l’ayant dérangé dans une partie de chasse pour débattre avec lui des affaires pressantes, il s’échappe, il s’enfuit, se cache derrière des buissons et finit par éconduire le trouble-fête en lui criant : « Aujourd’hui je ne donne audience qu’à mes chiens. » Il avait de gros goûts. Il a dit un jour : « Rien n’est vraiment nôtre en ce bas monde que ce que nous mangeons. » Astrée lui écrivait : « Vous êtes malade parce que vous buvez trop ; je n’ai que trop bon souvenir de vos hoquets d’ivresse. » Comme elle, il aimait beaucoup l’argent et les trafics lucratifs ; comme elle, il ne méprisait point les petits gains, et il n’avait aucune répugnance pour les marchandages et pour les manœuvres louches. Quand il se retira dans la maison de campagne de Willanow, où il termina ses jours, il eut pour commensaux ordinaires un jésuite, qui couchait au pied de son Ut, et un spéculateur en biens domaniaux, qui ne quittait pas son antichambre. Marysienka n’avait pas épousé un idéaliste ; ce mari et cette femme avaient beaucoup d’idées communes, et, dans l’habitude de la vie, ils s’entendaient facilement, ils parlaient la même langue.

Non, ce n’est pas une femme qui a perdu Sobieski. S’il a manqué sa vie, il faut s’en prendre à ses penchans naturels, aux fatalités de son caractère et plus encore aux mœurs politiques de son temps, à la société où il a vécu et qui lit son éducation. « L’homme, comme son entourage, dit M. Waliszewski, tenait du gouvernement de son pays, de l’air qu’on y respirait, atmosphère de licence, saturée de parfums troublans et mortels, poisons que l’on boirait jusqu’à la mort. Ils étaient trop beaux, trop heureux, ces szlachcice polonais en leur insouciante indépendance, en leur fière royauté de citoyens dominant une ombre de pouvoir souverain et un néant d’âmes esclaves, bétail de corvée ! Ils étaient trop heureux pour vivre. » Ne relevant que de leur épée, ces mortels privilégiés n’avaient d’autre règle de conduite que leurs intérêts, leurs fantaisies et le dérèglement de leurs passions. Ils auraient cru déroger s’ils avaient sacrifié à qui que ce fût la moindre parcelle de leur liberté. Grâce au liberum veto, le plus petit d’entre eux tenait dans sa main les destinées de son pays, et leur unique souci était la crainte que le souverain qu’ils avaient élu ne devînt assez