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pour cela, de même que, pour avoir été reçue avec acclamation, Frédégonde n’en vaut pas mieux. La lecture devant le comité est une nécessité injurieuse que l’on subit, mais il faudrait être bien humble pour reconnaître la juridiction littéraire de cette assemblée.

Ce n’est donc pas pour me venger du comité que j’ai traité Frédégonde précisément comme le public l’a fait à partir de la seconde représentation, mais parce que je trouvais, comme lui, et bien sincèrement, que Frédégonde ne valait pas le diable. Mon honneur m’oblige à le déclarer : c’est bien en soi que votre tragédie m’a paru détestable. C’est par elle-même, c’est par la force de l’évidence et sans le secours d’aucune considération extrinsèque, que sa profonde misère s’est révélée à moi. Si la Comédie-Française nous donnait une bonne pièce, je méconnais, je ne pourrais pas m’empêcher de le dire.

Mais, monsieur, de quel droit préjugez-vous de mes sentimens secrets et faites-vous part au public de vos offensantes conjectures sur ‘ ce point ? Si je disais à mon tour, vous empruntant votre tournure : « Pas un instant je n’ai supposé que M. Dubout, comme l’ont insinué quelques médisans, ait obéi à un autre sentiment qu’au zèle pur de la vérité ; pas un instant je n’ai cru qu’il cédait, dans sa poursuite grotesquement acharnée, à un dépit cuisant d’auteur tombé, à une rage de vanité déçue, à une démangeaison de réclame, à une humeur processive et hargneuse d’homme d’affaires et de chicanou provincial, ou encore au désir têtu de montrer aux habitans de sa petite ville, témoins de son retour humilié, que ces gens de Paris ne lui faisaient pas peur et qu’ils n’auraient pas avec lui le dernier mot. » Qu’auriez-vous à dire ? Et n’aurais-je pas tout lieu de vous répondre que c’est vous qui avez commencé ?

Je reprends votre papier. Vous vous donnez le plaisir facile et puéril (en soulignant naïvement les phrases flatteuses) de dresser une liste des contradictions de la critique touchant Frédégonde. Belle découverte ! On n’a peut-être jamais vu de pièce sur laquelle les critiques ne se soient contredits entre eux, même quand d’aventure tous en faisaient l’éloge. — Vous nous appelez tous en bloc, fort poliment, les « maîtres de la critique ». Cela en ferait beaucoup. Il arrive d’ailleurs à ces maîtres d’être inattentifs, ou bienveillans par lassitude et dédain, ou par scrupule de conscience et pour ne pas risquer de faire tort à une pièce qu’ils ont peu écoutée. — Il y en a un qui dit que votre langue « est solide », et je vous avertis que ce n’est pas vrai, n’y en a un autre qui dit que vos vers sont « de correction classique » : ce n’est pas vrai non plus.