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critique, ni que Frédégonde soit autre qu’elle n’est, ni qu’elle me paraisse autre qu’elle ne me paraît. Et ainsi la disproportion entre votre effort et son résultat devient un peu comique. Ou, pour mieux dire, il y avait longtemps qu’un homme ne s’était édifié de ses propres mains, avec cet entêtement sombre, par une telle mobilisation de magistrats, d’avocats et d’huissiers, et sur un tel amas de papier timbré, une si haute réputation de ridicule. Et cela est beau dans son genre, et plus étonnant encore que la confession de Frédégonde.


… Et maintenant, monsieur, je puis bien vous l’avouer : je me suis appliqué à vous dire des choses justes sous une forme qui fût un peu désagréable, parce qu’il faut bien se défendre dans la vie : mais je ne suis point si fâché que cela. Je n’ai aucune peine à entrer dans votre état d’esprit. Je suis comme vous : je n’ai presque jamais trouvé que la critique comprît entièrement mes pièces, ni même qu’elle les racontât comme elles étaient, ni quelle leur fût pleinement équitable. On s’y résigne quand on est sage ; et, quand on est fier, on se rend justice à soi-même silencieusement et l’on se contente de son propre témoignage. On y est très aidé par la considération de ce qu’il y a de hasard mystérieux dans les succès de théâtre. Vous n’avez pas su prendre ce parti, et combien je le regrette ! Vos sentimens, tout involontaires et fort excusables, étaient d’un homme : mais votre conduite, hélas ! a été d’un « gendelettre », et je suis obligé de donner ici à cet affreux mot toute sa force.

Si vous vouliez bien le reconnaître vous-même (et pourquoi non ? votre récente victoire a dû vous détendre), je vous répéterais, sans ombre d’ironie, ce que je disais il y a un an : « La susceptibilité des hommes de lettres est, quand on y réfléchit, bien misérable… Pourquoi tant souffrir d’appréciations qui ne nous atteignent ni ne nous diminuent dans ce qui nous devrait seul importer, j’entends notre valeur morale ?… On peut avoir fait un mauvais drame, et non seulement n’être pas un sot, mais encore, par d’autres dons que ceux qui font le bon dramaturge et le bon écrivain, par un autre tour d’imagination, par l’activité, l’énergie, la bonté, par toute sa complexion et sa façon de vivre, être un individu plus intéressant et de plus de mérite que tel littérateur accompli. »

Non, je ne raille point. Toute notre querelle, ce n’est que de la littérature. La littérature, il faut l’aimer ; mais le mieux est de l’aimer sans en faire ; et, quand on en fait, les bénéfices que notre vain orgueil en attend ne valent pas que l’on devienne méchant à cause d’elle ni que,