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représentatives de type anglo-saxon qui ne convenaient point à leur génie et qui ont fait dévier le développement historique de leurs institutions, à elles. Ce qui se passe en Italie et en Espagne, dans le même temps que cela se passe chez nous, n’est pas pour nous en faire dédire.


En Italie, à peine le cinquième ministère Rudini était-il fait, qu’il s’est défait. Comme, chez nous, le ministère Méline, on ne l’a pas renversé, il est parti de lui-même, et un peu plus librement encore, car, si M. Méline n’a pas jugé acceptable la confiance hésitante et mêlée d’injonctions que la Chambre lui accordait, du moins il a paru devant elle, il a parlé, il a provoqué sa réponse ; il l’a forcée à dire, par un scrutin, ce qu’elle voulait ou ne voulait pas. M. di Rudini, au contraire, n’est même pas allé jusqu’au bout. Il s’est livré, assure-t-on, à un pointage minutieux, duquel il serait ressorti à ses yeux, en toute évidence, que les quatre cinquièmes de la Chambre lui étaient hostiles, et que, même en lançant aux retardataires télégrammes sur télégrammes, en battant le rappel, en levant le ban et l’arrière-ban des députés gouvernementaux, il n’arriverait peut-être pas à réunir 100 voix. Il s’est senti, à l’avance, battu ; plus que battu, écrasé ; et comme, ayant à réserver l’avenir, il pouvait bien subir une défaite, mais non pas risquer un effondrement, il ne s’est pas présenté, ou seulement pour annoncer qu’il ne se présentait pas. Toute assemblée est foule et aime les jeux cruels. La Chambre italienne, furieuse qu’en se suicidant le cabinet lui ôtât le plaisir de le tuer, s’est tout à coup emplie de clameurs : M. di Rudini n’avait pas le droit de se retirer ainsi : ce n’était ni constitutionnel, ni parlementaire, ni légal, ni loyal ; il devait attendre l’accusation, la condamnation et le supplice. Le président du Conseil a laissé crier les plus enragés, avec la haute impassibilité qu’il sait prendre quand il veut et l’indifférence aux passions d’ici-bas de quelqu’un qui n’existerait plus. À la fin, le bruit est tombé, et de toute cette agitation il est resté, — c’est beaucoup trop, — une crise ministérielle, très difficile à clore, qui eût pu à la longue, en traînant et s’envenimant, devenir, — bellum plus quam civile, — plus que ministérielle.

En effet, il ne pouvait cette fois être question d’un « replâtrage », ou d’une transformation. Depuis deux ans et demi, depuis le mois de mars 1896, lorsqu’une crise éclatait, on n’y prenait pas garde ; comme elle s’ouvrait, elle se fermait, et au marquis di Rudini succédait le marquis di Rudini. Son ministère était, — qu’on veuille bien nous passer ces comparaisons familières, — comme le couteau de Janot ou