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M. Sonnino-Sidney et M. Colombo, M. Alessandro Fortis et M. Prinetti, M. Baccelli et M. Giolilti ? Aussi pensaient-ils différemment, marchaient-ils chacun de leur côté, et encore ne marchaient-ils guère, à cause de la saison qui fait le vide et de la chaleur qui devient intolérable dans la salle, en bois et en verre, de Montecitorio. Le ministère avait donc malgré tout une chance de passer l’été et de vivre au moins jusqu’à la rentrée de novembre. Mais le marquis di Rudini, interrogeant les augures, ne l’a pas cru, ou, songeant à ce que serait cette vie, ne l’a pas voulu.

Il avait, pourtant, préparé différens projets. Une première série était destinée à combattre les théories et à empêcher l’organisation des « forces subversives ». Reste à savoir au juste ce qu’il entendait par-là ; s’il avait là-dessus les idées de M. Zanardelli, ou celles de M. Visconti-Venosta, ou celles de tous deux à la fois ; et ce qui pour lui était l’ennemi, à moins qu’il n’aperçût des ennemis partout. La seconde série avait pour objet « d’adoucir les pires souffrances économiques du pays » ; et est-il besoin de dire que dans le monde moderne, en Italie comme ailleurs, dans l’Italie méridionale plus encore, peut-être, qu’ailleurs, la triste humanité n’a que le choix entre ces souffrances ? A la première série se rattachaient des modifications, retouches, restrictions aux lois en vigueur sur les associations, sur le domicile forcé, sur la presse ; à la seconde, l’abolition de l’octroi dans les petites villes ; la restitution des petites propriétés saisies par le fisc pour non-paiement des cotes minimes d’impôt, — en Sardaigne et dans le Midi, ces petites propriétés séquestrées au profit (faut-il vraiment dire : au profit ? ) de l’État sont si nombreuses que, pour que l’émigration ne soit pas l’unique ressource, le brigandage y doit redevenir un métier ; — enfin, l’augmentation de la portion congrue des curés de campagne, comme si le bas clergé, atteint, lui aussi, par toutes sortes de souffrances économiques, et aussi malheureux que les plus misérables, était prêt à fournir des cadres à cette Jacquerie qui se levait.

Et certes, il eût été bon, tandis que les tribunaux militaires distribuaient sévèrement les peines, de parler d’autre chose que de châtimens, de prévoir et de prévenir. Mais le marquis di Rudini, ayant châtié durement, se voyant mourir en odeur de réaction et de dictature, a estimé que la Chambre n’était pas en état de l’écouter, et il a préféré ne pas lui tenir un discours qui eût été perdu. Outre la crainte, fort légitime, d’être mis dans une posture qui lui interdirait pour un temps tout retour au pouvoir, en a-t-il eu quelque motif qu’il n’a pas cru devoir publier ? Il se peut ; ce qui ne se peut pas, c’est qu’il ait