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haut, pour qui le Magyar et le Slave ne sont pas nécessairement et à jamais ennemis ; mais c’est bien l’esprit général, cet esprit de haine et de bataille. — Ainsi, Magyars contre Tchèques, et Tchèques contre Magyars ; Hongrie contre Bohême, Bohême contre Hongrie ; et voilà un premier obstacle, — qu’on ne sait trop comment surmonter ni tourner, — à la solution en apparence naturelle et logique : substitution au régime à deux d’un régime à trois, trialisme au lieu de dualisme.

Si cet obstacle aux ambitions ou aux espérances de la Bohême leur est opposé du dehors, — puisqu’il vient de la Hongrie, — il en est d’autres qui viennent du dedans, et la Bohême est singulièrement et cruellement divisée sur elle-même. Un antagonisme radical, violent, irréconciliable y sépare, comme par un abîme, les deux nationalités que la géographie et l’histoire y ont juxtaposées : les Tchèques et les Allemands. Il n’y a pas jusqu’à ce nom de « Tchèques » où ne se révèle cet antagonisme du sang et dans lequel les Allemands n’aient voulu mettre une nuance de mépris : ce sont eux qui disent les Tchèques pour désigner leurs adversaires, qui préfèrent s’appeler les Bohêmes. Les ordonnances sur les langues, du 5 avril 1897, étaient bien peu de chose dans leur texte et ne méritaient ni de déchaîner une pareille tempête au Reichsrath ni de précipiter du pouvoir un homme de la valeur et de l’autorité du comte Badeni. Les Allemands, menacés dans leurs positions, n’ont pas manqué de s’en emparer et de les faire servir à abriter, sous un intérêt national, un intérêt électoral. Mais tous ces cris et toutes ces fureurs n’ont de vraie signification que comme symptôme de l’incompatibilité native, congénitale, — et encore aggravée par des siècles d’une vie sans cesse déchirée sur un sol sans cesse disputé, — entre les Allemands et les Tchèques.

Pas plus que la statistique magyare et la statistique croate ou serbe, la statistique allemande et la statistique tchèque ne peuvent s’accorder sur l’importance relative des deux élémens en Bohême. A en croire une brochure qui a paru au plus fort du débat, en juillet dernier, — et qui n’est signée que des initiales L. S. mais qu’on a de bons motifs d’attribuer au docteur Ludwig Schlesinger, un des chefs du parti allemand[1], — dans soixante-douze districts, la proportion des Tchèques aux Allemands n’atteindrait pas

  1. Die Sprachenverordnungen vom 5 april 1897. — Verlag des « Clubs der deutschen Landtags-Abgeordneten » in Prag, 1897.