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jusqu’à l’Adriatique » et que l’Europe pourrait être coupée en deux par une Allemagne qui la barrerait de ses mers du Nord à ses mers du Sud. Mais on pense bien que « l’épée d’Arminius » n’atteindrait pas ainsi l’Adriatique sans rencontrer l’épée italienne dirigée vers Trieste, l’épée russe étendue au-dessus des populations slaves de la péninsule des Balkans, et — qui sait ? — d’autres épées encore. — En tout état de cause, un agrandissement, aux dépens de l’Autriche, soit de l’Allemagne, soit de la Russie, — agrandissement territorial ou simplement moral, disons diplomatique, — romprait entièrement ce pauvre équilibre européen déjà si chancelant et si compromis. La disparition ou, s’il y a manifestement excès à parler de disparition, la simple diminution de l’Autriche-Hongrie creuserait, au centre de l’Europe, un vide qui ne serait pas rempli, même si l’on parvenait, — et rien n’est moins établi, — à constituer, un peu plus au sud, un peu plus à l’est, sur le moyen Danube et dans les Balkans, une puissance de rang égal, car, la position géographique de cette puissance n’étant pas la même, son poids politique ne serait pas le même, et, pour tout dire d’un mot, située là, elle serait beaucoup plus orientale qu’européenne.

Au demeurant, on peut encore concevoir, sans se faire illusion sur sa solidité ni sur sa vitalité, une Autriche-Hongrie fédéraliste, puisque, sans se faire illusion non plus sur la solidité ni sur la résistance de ce lien, on sait que le commun amour du souverain commun est un trait d’union entre les multiples nationalités de la Monarchie. Et, à la vérité, si François-Joseph était immortel, peut-être une Autriche-Hongrie fédéraliste pourrait-elle vivre et durer. Le malheur est qu’il a déjà un demi-siècle de règne, et qu’il ne laissera, après lui, que de lointains héritiers, l’archiduc François-Ferdinand ou l’archiduc Othon. Mais enfin l’hypothèse d’une Autriche-Hongrie fédéraliste, toutes réserves faites et toutes craintes exprimées, n’est pas en soi inadmissible. Au contraire, l’hypothèse d’une Confédération balkanique, — d’où l’Autriche serait exclue, et à laquelle manquerait même ce frêle support d’une dynastie respectée et aimée, — ne tient pas debout un seul instant. Cette grande puissance des Balkans, quelle force au monde la créerait, si la même force qui divise les pays de la Monarchie austro-hongroise et empêche qu’un État vraiment un y puisse être réalisé divise aussi, et bien plus encore, tous ces royaumes ou principautés : Monténégro, Serbie, Roumanie,