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faut que quelqu’un invente quelque mode d’existence nationale, où tous ces fragmens de nations puissent, sinon se souder, du moins s’emboîter, se coller et tenir, — ce que tiennent nos arrangemens et nos combinaisons. — Et si ce mode nouveau ne satisfait pas l’esprit, s’il n’est pas « rationnel », s’il ne se classe dans aucune catégorie connue, tant pis, ou peut-être tant mieux ! Quand Deak eut fait adopter le Compromis austro-hongrois : « Grâce à Dieu, dit-il, il vivra : il n’est pas logique ! » Et le Compromis a vécu, et par lui l’Autriche-Hongrie a vécu : la vie souvent n’est pas « logique ». Est-il usé ? a-t-il donné tout ce qu’il contenait ? Qu’on le remplace alors par un autre illogisme, qui vive, comme lui, et qui fasse vivre.

Trois choses, en effet, doivent ressortir de cette étude : l’extrême difficulté, pour l’Autriche-Hongrie, de continuer à être ce qu’elle est ; son impuissance à être autrement ; la nécessité qu’elle soit. Il faut une Autriche en Europe. Voilà le principe à poser ; et puisque la question austro-hongroise est à plusieurs égards et sur plusieurs points reliée à la question d’Orient, de même que l’Europe, quels que soient les bouleversemens de la Turquie, s’efforce de maintenir l’intégrité de l’Empire ottoman, de même, quelles que puissent être les révolutions nationales ou intérieures de l’Autriche, à travers le trialisme et le fédéralisme et toutes les épreuves qu’elle peut subir, il faut tâcher, pour l’ordre européen, pour la paix internationale, — n’y trouverions-nous que du répit, non le repos, et ne fût-ce un bien que par le mal différé, — de gagner trente ans, vingt ans ou dix ans encore (la politique ne porte guère plus loin), en maintenant, coûte que coûte, l’intégrité de la Monarchie austro-hongroise.


CHARLES BENOIST.