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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/360

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vue d’œil ; le feuillage tendre des saules, des bouleaux et des aunes, les fleurettes blanches du senellier tranchaient délicatement sur le noir des vieux sapins durcis par les girandoles de glace qui s’y étaient si longtemps accrochées. L’herbe se déroulait en nappes d’une fraîcheur virginale, avivée encore par les cascades des petites rivières tout en rapides qui, bondissant sur les roches, forment des couches de cristal étagées. Et le ciel noyé s’éclairait tout à coup de tons d’argent bruni. Les vergers en fleur promettaient ces superbes pommes dont nous ne connaissons en Europe que les moindres échantillons ; la grise et surtout « la fameuse », rouge même à l’intérieur, se consomment sur place, car des greffes multiples ont rendu l’espèce primitive relativement rare. Feuillage, gazons, dessous de bois, tout faisait penser aux paysages trop verts de César de Koch. Maintenant, sur la plate-forme du parc de Mont-Royal, la verdure est plus belle encore, quoique moins métallique, car s’il a plu hier, s’il doit pleuvoir demain, il ne pleut pas, il ne peut pleuvoir aujourd’hui pour une raison péremptoire : c’est le jour de naissance de la Reine. Le temps est toujours beau en l’honneur de Sa Gracieuse Majesté, on dit avec confiance the Queens weather. De mémoire d’homme, il n’a plu pour sa fête. Beaucoup de drapeaux, beaucoup de pétards. La population en masse est dehors ; les chemins de fer, les tramways électriques transportent au rabais tout le monde à la campagne.


IV

Si j’ai été introduite par le clergé dans les cercles québecquois, je dois d’entrer en rapport avec la société montréalaise à la courtoisie, à la bonne grâce obligeante du consul général qui représente la France au Canada, comme on voudrait qu’elle fût, pour son honneur et son plus grand bien, partout représentée.

Les souvenirs agréables me reviennent en fou le : soirées charmantes où les jeunes filles sont toutes naïvement jolies, gaies, simples et bien mises à la fois, dansant avec une légèreté d’oiseau, coquettes d’une coquetterie moins savante que celle des Américaines proprement dites, rappelant plutôt, avec quelques différences dues à l’effet du climat, d’autres gracieuses créoles[1],

  1. Créole, pris dans son véritable sens, veut dire né aux colonies, d’ancêtres européens.