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les missions religieuses qui se sont répandues dans toute la France. En passant, il dit à Lainé, en manière d’éloge :

— Elles sont aujourd’hui plus nombreuses que lorsque vous étiez ministre de l’Intérieur.

C’est inexact ; mais Lainé ne proteste pas. Quoiqu’il se prononce contre la motion Kératry, elle est votée. L’incident porté à la connaissance du Roi l’affecte péniblement.

« J’ai peu reçu, mon cher fils, de portefeuilles dont le contenu m’ait fait autant de peine. La séance de la commission a été détestable et nous promet de tristes suites, d’autant plus que je ne vois point de force dans ceux de la minorité. Comment Lainé, par exemple, a-t-il pu avaler le compliment de Kératry ? Comment ? C’est qu’il était dirigé contre toi, car, certes, il y a eu plus de missions pendant qu’il était ministre de l’Intérieur que depuis que tu l’es. En tout, il n’est que trop facile de prévoir quel sera l’esprit général de l’adresse. Je sais bien que tout ne sera pas perdu pour cela. Nous avons la ressource d’amender et, au pis aller, celle de rejeter ; mais, ne nous faisons pas illusion ; nous combattrons sur un mauvais terrain.

« D’autre part, pouvons-nous compter même sur la Droite pour reprendre la question ? Lisons leurs journaux. Celui des Débats est détestable. Mais la Quotidienne est cent fois pire, d’autant plus que j’y ai été attrapé. La première colonne m’avait fait plaisir, je commençais à espérer une conversion, presque même à y croire. La fin ne m’a été que plus sensible. Je sais, comme on te l’écrivait hier, qu’on ne gouverne pas avec des affections. Je crois l’avoir prouvé, il y a un an. Mais fermer tout à fait l’entrée de mon cœur, non, cela m’est impossible.

« Et si Rome demande une vertu plus haute,
« Je rends grâces aux dieux de n’être pas Romain
« Pour conserver encor quelque chose d’humain. »

Ainsi, le Roi envisage l’avenir sous les plus sombres couleurs. Il s’en inquiète non seulement pour la chose publique et le bien de l’Etat, qu’il voit compromis par l’attitude de la Droite dans les deux Chambres, mais encore pour Decazes, de plus en plus attaqué. Il ne juge pas cependant le mal inguérissable, ni le cas désespéré. Loin de se décourager, il s’efforce de rallier des voix au ministère :

« Je viens de voir Courvoisier. Je ne l’ai point ramené, bien que je n’y aie, je crois, rien épargné, ce qui ne m’a pas empêché,