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« Vous savez que nous avons été abandonnés par Royer-Collard, qui cependant, et jusqu’à la composition du nouveau ministère, avait partagé toutes nos idées et senti toutes les nécessités que nous imposait le péril, et qui nous demandait aussi à grands cris le changement ministériel qui a eu lieu, mais qui n’a pas compris comment tout cela avait pu se faire sans lui.

« La veille, il nous disait : — J’appuierai votre projet ; je vous serai bien plus utile en dehors qu’en dedans. Je serai le rapporteur de la loi, si vous le voulez. »

Promesses fragiles et bien vite oubliées.

De même, Courvoisier. L’année précédente, à propos des pétitions contre la réforme électorale, il s’élançait à la tribune, déclarait que ces pétitions n’étaient dues qu’aux manœuvres d’un comité directeur. Comme il a changé depuis ! Elu dans le Doubs, il en est revenu persuadé que l’ancienne loi n’offre aucun inconvénient puisqu’elle l’a fait député. Il déclare à tout venant qu’il n’y a pas lieu de la modifier. « Loin de nous être utile, il nous donnera beaucoup d’embarras, sans pourtant être hostile aux personnes et peut-être sans attaquer directement la loi. » Lainé se tait depuis la séance où il prit la parole contre l’élection Grégoire, et sans doute va-t-il persévérer dans son silence. Corbière, qui, l’an dernier, « était fort bien », est devenu anti-ministériel. Il a voté contre les six douzièmes provisoires avec la Bourdonnaye, qu’on avait pu croire converti aux idées de modération, mais chez qui le vieil homme, violent, intolérant, acerbe, a bientôt reparu.

À ces douloureuses constatations, Decazes ajoute mélancoliquement : « Rien ne serait plus facile que de reformer un centre, de reprendre trente personnes de la Gauche ou du Centre gauche, et de faire avec elles quelque chose de mieux que ce qui existe quant aux élections et à la liberté de la presse. Mais ce quelque chose serait-il suffisant ? Il ne le serait pas, et il faudrait recommencer. » Il n’y a donc pas à hésiter. Il faut mettre le côté droit en demeure de se prononcer et de se démasquer. « Nous le ferons. Je suis bien déterminé à recevoir le feu de leurs tirailleurs sans riposter, à aller droit au fait, à m’adresser à leur conscience et à les défier de rejeter une bonne loi en présence des Jacobins et de la loi actuelle qu’ils exploiteront de nouveau. Monsieur nous aidera certainement et ne souffrira pas que ces messieurs le déshonorent en le perdant, et nous avec lui. »

Tout dans cette lettre témoigne d’une rare faculté de voir et