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venir que le mercredi pour le Conseil. » Et le lendemain, veillée des armes, il termine un des trois billets qu’il écrit en quelques heures par ce souhait que lui dicte son cœur : « J’espère bien dès demain, au sortir de la Chambre, voir mon ami et serrer dans mes bras le fils que j’aime de tout mon cœur. »


II

Durant la soirée du 13 février, Paris s’amusait ; on touchait à la fin du carnaval. Obligé de ménager ses forces en vue de la journée du lendemain, où devait être portée à la Chambre des députés la loi électorale, Decazes avait laissé sa jeune femme aller seule à un bal donné par le maréchal Suchet, duc d’Albuféra. Il était resté chez lui, en compagnie de son collègue Pasquier. Les deux minisires relisaient ensemble l’exposé des motifs du projet de loi, rédigé par Decazes. Un peu après onze heures, comme ils achevaient ce travail de révision, un homme entra sans s’être fait annoncer, le visage pâle et décomposé. C’était l’officier de paix Joly, agent de confiance, spécialement chargé de veiller à la sûreté du Duc de Berry. A sa mine bouleversée, les ministres devinèrent qu’il était messager de malheur. Ils ne se trompaient pas. Joly s’écriait avec désespoir :

— Monseigneur vient d’être assassiné.

Au seuil de l’Opéra, le prince avait été frappé d’un coup de poignard, au moment où il rentrait au théâtre après avoir mis en voiture la Duchesse de Berry, qui se retirait sans attendre la fin du spectacle. L’assassin, arrêté sur-le-champ, se nommait Louvel. Son arme avait pénétré profondément dans la poitrine de sa victime, mais sans donner la mort. Joly ne put dire si la blessure était ou non mortelle. Quand il avait quitté le théâtre, le prince venait d’être transporté dans l’appartement du régisseur. Appelés en hâte, des médecins, parmi lesquels se trouvait Dupuytren, lui prodiguaient leurs soins. Le Comte d’Artois arrivait, suivi du Duc et de la Duchesse d’Angoulême. Le Roi n’était pas encore prévenu.

C’est à celui-ci qu’au su de ces premiers détails, Decazes songea d’abord. Il lui écrivit pour lui annoncer la catastrophe. Il promettait d’aller le voir dès qu’il se serait assuré de l’état du blessé. Il partit ensuite pour aller à l’Opéra. Pasquier l’accompagnait. A l’Opéra, le spectacle s’achevait, la nouvelle du crime ne