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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/384

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L’ultra-royalisme triomphait. Les ministres décidèrent enfin que rien ne serait changé à leurs projets antérieurs en ce qui touchait la réforme électorale. Les Chambres devaient être saisies, sous vingt-quatre heures, de ces diverses propositions. Dans la même journée, communication leur fut faite « de cet affreux malheur. »

A la Chambre des Pairs, tout se passa avec convenance. Mais, à la Chambre des députés, avant même que le Président Ravez eût donné lecture de la lettre du président du Conseil, un député de la fraction la plus avancée de la Droite, Clausel de Coussergues, s’élança à la tribune et proposa « de porter un acte d’accusation contre M. Decazes, comme complice de l’assassinat du Duc de Berry ». Il voulait développer sa proposition. Des protestations presque unanimes couvrirent sa voix. Il dut regagner sa place au milieu des huées de ses adversaires et des reproches de ses amis.

Decazes n’assistait pas à cette séance. Mais d’autres ministres étaient présens. Aucun d’eux ne demanda la parole pour le défendre. Ils considérèrent qu’il n’avait pas besoin d’être défendu. Decazes n’en fut pas moins blessé de leur silence. Il leur déclara que, si, le lendemain, à l’ouverture de la Chambre, l’un d’eux ne faisait pas justice « de ce misérable », rien ne pourrait l’empêcher de se faire justice lui-même. Ils eurent la plus grande peine à le calmer et à obtenir de lui qu’il se reposât sur eux du soin de prendre toutes les mesures que nécessiterait le souci de son honneur. Le soir venu, il recevait du Roi cette lettre bien propre à lui prouver qu’en dépit du crime de la veille, la faveur royale lui restait tout entière :

« Je savais, mon cher fils, par Pasquier, avant l’entrée de la Chambre des députés, que tu n’y serais pas et, tout en gémissant de la cause, je ne puis que t’approuver. Cette affreuse nuit en aurait accablé de plus forts que toi. Souviens-toi qu’il faut que les lois d’exception soient draconiennes et promptement proposées. Tout est, malgré l’infâme Clausel de Coussergues, bien disposé. Mais il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. « Parmi ces horribles mensonges du café de Valois, il y a une chose vraie : c’est la demande que tu as pu entendre la Duchesse de Berry me faire à genoux d’emmener sa fille en Sicile. J’ai chargé Pasquier de te dire qu’il serait bon que nos journaux parlassent du soupçon de grossesse qui existait déjà quelques jours avant le crime. Bonsoir, cher fils bien-aimé. »