Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fatale, ni même durable : rien n’empêche d’augurer que la viande soit destinée à baisser dans l’avenir, tant par l’accroissement du bétail élevé sur notre sol que par les importations du dehors. On sait qu’il n’est venu jusqu’ici de l’étranger qu’une faible quantité de chair, fraîche ou conservée ; certaines matières animales, — suifs, peaux, laines, etc., — ont seules pénétré en assez grande abondance pour influencer la cote de nos similaires indigènes. Le bon marché même de ces produits accessoires, favorable à plusieurs industries et à divers besoins de l’homme, devait naturellement faire enchérir la portion comestible de l’animal, seule capable désormais de donner aux bouchers un bénéfice.

Comparée, non plus au blé, dont le prix est presque identique à ce qu’il était il y a cent ans, mais au coût de la vie en général, que nous estimons avoir doublé depuis un siècle, la viande a subi une hausse plus forte que la moyenne des marchandises : de 68 centimes le kilo, qu’elle se vendait sous Louis XVI, elle est passée à 1 fr. 70 ; elle est donc deux fois et demie plus chère. Non qu’elle soit moins abondante sur notre territoire ; mais la consommation, favorisée par l’aisance, s’est accrue dans une mesure plus large encore que les progrès de l’élevage, qui pourtant ont été considérables.

Que les bestiaux aient été à vil prix au moyen âge, cela tenait à l’immensité de la lande, de la forêt, au chiffre infime des habitans. Dès le milieu du XVIe siècle, pour faire subsister sur une même surface un bataillon plus serré d’êtres humains, il fallut changer les conditions d’exploitation. Le guéret dut s’élargir, tandis que la forêt songea à se défendre, parce que le bois prenait de la valeur. L’espace abandonné au bétail demeurait bien vaste pourtant, mais, — fait explicable après tant de pillages et de ruines, — le bétail, sous Henri IV, manquait. Le paysan pouvait, grâce au système de la vaine pâture, entretenir des animaux sans posséder de terre. Mais, n’ayant pas toujours de quoi en acheter, il les louait, et l’on s’aperçoit qu’il les louait fort cher. Tel « laboureur de vignes, » en Seine-et-Oise, prend à bail d’un receveur de la Cour des Aides à Paris « une vache sous poil brun, » moyennant un loyer annuel de 17 francs (1600). Ces 17 francs étaient une somme considérable, presque le tiers de la valeur de l’animal, qui coûtait alors 56 francs en moyenne. Beaucoup de baux du même genre sont cependant faits à la même date pour le même chiffre ; tandis que, quatorze ans plus tard, le loyer avait