Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Allemands, retendent, l’accroissent et l’alourdissent ; il est des œuvres que, littéralement, elle écrase. D’autres, pour l’alléger, la dépouillent, la vident, et ce sont les Italiens, qui jadis lui faisaient peut-être trop de sacrifices, qui craignent le moins aujourd’hui de la sacrifier.

Heureusement, ils n’en ont pas toujours le courage, et la musique, leur musique, leur échappe et s’envole en chantant. «… Du talent et même de la facilité. » Oh ! oui, surtout, partout de la facilité, et, dans le temps où nous sommes, cela est précieux, cela semble presque divin. « Ils écrivent tous, disiez-vous, la même musique. » Mais du moins ce n’est pas la même que nous. On pourra se plaindre, et nous nous en plaignions tout à l’heure, que cette musique manque de profondeur et de « dessous. » Oui, mais la surface en est agréable et brillante. Et cela nous change et nous délasse de tant de musique dont le « dessous » est peut-être admirable, mais qui n’a pas de « dessus, » ou dont le « dessus » est affreux. La partition de la Vie de Bohême n’est certes pas un modèle d’écriture, et ses quintes successives sont déjà fameuses. Vous n’êtes pas sans ignorer que rien n’est plus défendu en musique que de « faire » deux quintes de suite. Cela est défendu, parce que cela est vilain et désagréable à l’oreille. Or, M. Puccini n’en fait presque jamais moins d’une demi-douzaine. Et cela, en effet, offense l’oreille ; mais il se peut quelquefois que cela satisfasse l’esprit. Je m’explique par un exemple célèbre. Au second acte de Guillaume Tell, dans le ravissant petit chœur : Voici la nuit, Rossini, qui se gênait peu, s’est permis une série de quintes descendantes. Il s’agissait là d’un effet à produire, et que les quintes ont produit : celui de la tombée lente et régulière du soir. Les quintes de M. Puccini sont généralement plus dures, parce qu’elles sont moins entourées, moins atténuées, que celles de Rossini. On en citerait pourtant quelques-unes (dans l’acte du réveillon, dans celui de la barrière d’Enfer) que l’intention dramatique ou pittoresque justifie et transforme presque en fautes heureuses.

Peu soucieux de la loi, M. Puccini l’est encore moins de la convention. Avec une désinvolture, un sans-gêne qui me ravit, ce libre Italien joue, plutôt qu’il n’en use, du leitmotiv allemand. Une ou deux fois, il nous montre qu’il saurait au besoin « traiter un motif par augmentation » (celui de Rodolphe ou celui de Mimi). Partout ailleurs il préfère, comme plus facile et faisant bon effet à meilleur compte, le motif rappelé. C’est ainsi que le dernier acte n’est, à peu de chose près, que la reproduction du premier. Je m’empresse d’ajouter qu’il n’en est pas pour cela moins attendrissant.

Et puis, comme vous savez, les quintes, ce n’est que l’écriture ; le