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Mme Wagner — avait renversé en passant une de ses pipes turques : mais ce n’est point de tout cela qu’il lui sait mauvais gré. Il lui sait mauvais gré, simplement, de ne l’avoir pas admis à partager avec lui le succès et la gloire, après l’avoir eu pour compagnon dans ses années de lutte. Il aurait voulu que Wagner répondît au roi de Bavière, quand celui-ci lui offrit un asile où il pût travailler, et un théâtre où il pût faire jouer son œuvre : « Sire, je n’accepterai vos faveurs que si mon cher Weissheimer en a sa part aussi ! »

Je n’exagère pas. Je viens de relire à ce point de vue les quatre cents pages du volume, et, sauf le passage que j’ai cité sur la réédition du Judaïsme dans la Musique, sauf l’anecdote de la pipe turque, et sauf quelques exemples de la facilité avec laquelle Wagner dépensait, — ou donnait, — son argent, je n’ai pu trouver que deux griefs invoqués par M. Weissheimer pour justifier la rigueur de ses appréciations et le ton d’aigreur dont il les accompagne.

Il reproche, d’abord, à Richard Wagner de s’être dédit de la promesse qu’il lui avait faite d’assister à son mariage. Wagner venait alors de s’installer à Munich, dans une élégante petite maison que le roi de Bavière avait mise à sa disposition : M. Weissheimer était chef d’orchestre au théâtre d’Augsbourg, et allait se marier. « Wagner se réjouit fort de la nouvelle de mon prochain mariage, et me promit aussitôt d’y assister. Puis il réfléchit un moment, et me demanda combien de personnes j’avais invitées à la noce. — Fort peu, lui répondis-je : car nous voulons, autant que possible, rester entre nous. — Alors, de son plein gré, il me fit une proposition qui, naturellement, me ravit : après le mariage, qui aurait lieu à Augsbourg et où il assisterait, il m’offrit de nous emmener, ainsi que tous nos invités, chez lui à Munich, où il nous ferait préparer un dîner de circonstance, et où ses amis les Bulow viendraient se joindre à nous. Je fis aussitôt part à ma fiancée de cette aimable proposition. Elle me répondit avec enthousiasme : « Ah ! quelle « joie ! Le bon et cher Wagner ! » Mais voici que, la veille du mariage, je reçois à midi le télégramme suivant : « J’aurai grand plaisir à vous faire demain mes vœux de bonheur, ainsi qu’à votre chère fiancée ; mais il me sera impossible de vous recevoir chez moi avec vos honorés hôtes, car je me sens malade, et ai besoin d’un repos absolu. » Un second télégramme, qui me parvint le soir à sept heures, me disait : « Je viens d’être pris d’une fièvre très violente : impossible d’être avec vous demain. Désolé. Wagner. »

Une lettre de Hans de Bulow, reçue deux jours après, apprit à M. Weissheimer que Wagner avait été, en effet, très souffrant. Et