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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/511

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nord de ses possessions asiatiques. Depuis longtemps, la Russie compte donc, parmi ses sujets, une nombreuse population arménienne, qui, sous une domination rigoureuse, mais éclairée, a grandement prospéré. Le gouvernement des tsars n’a rien négligé pour provoquer une fusion entre ses nouveaux sujets et les anciens, pour les « nationaliser » en quelque sorte. On a, dans ce dessein, employé successivement la faveur et la contrainte. Le sentiment religieux étroitement uni au sentiment national, si cher à toutes les populations chrétiennes en Orient, rendit ces tentatives infructueuses.

Cependant les Arméniens, race laborieuse et intelligente, amélioraient leur sort par l’agriculture et le commerce, grâce à la sécurité dont ils n’avaient cessé de jouir depuis qu’ils relevaient de la domination russe. L’aisance et même la richesse se développant parmi eux, ils s’adonnèrent à la culture intellectuelle. Ils ne se contentaient pas de multiplier les écoles ; les plus fortunés envoyaient leurs enfans s’abreuver aux grandes universités en France, en Allemagne et même en Russie. Il se forma ainsi une pépinière de jeunes esprits, également épris de science et de patriotisme. L’idée d’une Arménie indépendante en séduisit un certain nombre, auxquels se joignirent des adhérens sortis des groupes restés soumis à l’autorité de la Porte. C’est de leurs rangs que surgirent ces comités qui se constituèrent les propagateurs du principe national. Nous avons dit l’accueil qui leur fut fait à Londres et les mit en situation de développer leur action et de l’exercer parmi les populations arméniennes. Ce mouvement ne laissa pas la Russie indifférente ; elle veilla et réussit à prévenir, sur son territoire, toute manifestation hostile ou dangereuse. Mais on conçoit qu’elle ne se soit montrée nullement disposée à favoriser la restauration d’un État arménien, et qu’elle ait borné ses efforts, dans les négociations ouvertes à Constantinople, à rétablir l’ordre en Asie, sans encourager des tentatives et des espérances dont elle avait à redouter la contagion.

Les conditions dans lesquelles se trouvait placé le cabinet britannique, en cette circonstance, étaient d’un tout autre caractère. L’Angleterre avait contracté, par le traité, conclu avec la Porte en 1878, qui lui avait livré la possession de l’île de Chypre, l’engagement de garantir au sultan ses possessions en Asie Mineure. Cette clause visait la Russie, qui venait précisément de reculer ses frontières de ce côté au détriment de l’empire ottoman.