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A son avis, aucune solution n’est possible sans un accord bien cordial, bien ferme, conclu directement entre les cabinets, et il ajoute : « Unis, nous pouvons tout ; désunis, nous ne pouvons rien[1]. »

L’union a-t-elle existé, a-t-elle été durable ? C’est ce que nous voudrions élucider.

Pendant que les ambassadeurs délibéraient à Constantinople, la situation s’aggravait en Crète, la lutte se poursuivait avec plus de fureur. Des secours en armes, en munitions, en volontaires, arrivaient aux chrétiens de tous les ports de la Grèce. La Porte, de son côté, augmentait ses contingens ; elle ne se bornait pas à entretenir un gouverneur en Crète, elle y envoyait un commissaire général, s’inspirant tous deux des vues de leur maître dont ils devaient, avant tout, sauvegarder l’autorité souveraine.

La conférence se hâtait cependant, et elle parvenait à arrêter les termes d’un arrangement ou acte constitutif de la Crète, qui fut agréé par la Porte. C’était en août 1896. Ce nouveau pacte rétablissait, avec quelques modifications, celui de Halepa. Les chrétiens s’y rallièrent ; les musulmans s’en montrèrent mécontens ; les autorités turques se divisèrent et s’abstinrent, prétendant ne pas avoir été pourvues d’instructions suffisantes. La Porte essayait de la sorte « de reprendre, dans l’application, les concessions qu’elle avait dû faire en principe », c’est-à-dire qu’elle déclinait en Crète, à l’aide de ses fonctionnaires, ce qu’elle avait consenti à Constantinople. Il résultait de ces contradictions une fermentation toujours plus intense. Des commissions furent toutefois instituées, comprenant des délégués des ambassades, pour la réorganisation de la gendarmerie, pour la reconstitution de l’ordre judiciaire et des autres services publics. La Porte s’y prêta, mais avec des lenteurs et des atermoiemens qui entravèrent l’application des mesures prises par la conférence et donnèrent lieu à de nouveaux dissentimens entre gouvernés et gouvernans, entre chrétiens et musulmans ; il survint ainsi de nouveaux et de plus graves désordres, précédés et suivis d’incendies et de pillages, dans les principales villes de l’île. Ces troubles ont-ils été suscités par les autorités pour mettre obstacle à l’apaisement qui devait résulter de l’application des réformes ? Voici ce que M. Blanc, notre consul à la Canée, écrit à ce sujet : « J’ai la preuve que ce soulèvement simultané des musulmans à Candie, à Réthymo et à la Canée est la conséquence

  1. Livre Jaune, p. 73.