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puissante exerçaient sur lui une telle séduction qu’il cherchait à acquérir le plus qu’il pouvait de ses œuvres et les faisait reproduire par les plus habiles graveurs[1]. Adrien Brouwer était aussi un de ses peintres préférés et il ne possédait pas moins de dix-sept ouvrages de sa main. La naïve énumération que nous en donne le catalogue, nous permet de constater combien sont humbles et vulgaires les sujets traités par l’artiste : « Un Combat des Yvrognes, où l’un tire l’autre par les cheveux ; un Combat où un est prins par la gorge ; un Combat de trois où un frappe avec un pot ; un Paysage où un villageois noue ses souliers, » etc., et nous procure en même temps les titres de quelques-unes des meilleures productions de ce fin coloriste et de cet incomparable exécutant.

Dans cette galerie formée avec tant d’impartialité, les maîtres les plus divers de tous les temps et de toutes les écoles ont trouvé place. A côté des plus grands génies, Rubens admet les meilleurs ouvriers de son art. Les uns et les autres l’attirent et à tous il demande quelque enseignement. S’il est peu d’artistes dont l’originalité soit aussi marquée que la sienne, il n’en est pas qui mieux que lui ait profité de ce qu’avaient fait ses devanciers. Mais, tout en les consultant et en leur empruntant à l’occasion l’ordonnance et parfois même quelques figures de leurs compositions, il reste toujours lui-même et transforme à sa manière tous ces élémens étrangers pour les adapter à son idée. Grâce à son insatiable curiosité, il se renouvelle à chaque instant et peut allègrement suffire à une production incessante, sans risquer jamais d’amoindrir ou d’épuiser sa verve.

Ses antiques d’ailleurs lui sont aussi chères que ses tableaux. De bonne heure il a commencé à les réunir et bien que ses ressources fussent alors des plus modiques, dès les premiers temps de son séjour en Italie, il en a consacré une partie à des achats de sculptures et de médailles. Il avait pu à Mantoue étudier de près la collection des Gonzague, une des plus riches de cette époque, accrue encore de celles qu’avaient formées Mantegna et Jules Romain. Mais c’est à Rouie surtout qu’il avait pu satisfaire sa passion pour l’archéologie. La présence de son frère Philippe, qui partageait ses goûts, avait encore stimulé chez lui cette passion. Bon latiniste comme lui, il pouvait compléter par ses lectures les

  1. L. Vorsterman a gravé sous ses yeux la Bâilleur et la Rixe de paysans qui faisaient partie de ses collections.