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liberté d’esprit pour qu’il put, même en s’y livrant, prêter l’oreille à son lecteur, d’autres, comme celle de la composition, par l’effort qu’elles exigeaient de lui, ne comportaient guère une pareille distraction et devaient l’absorber tout entier. Remarquons aussi, en passant, ce mélange de pratiques pieuses et de lectures païennes. Les croyances religieuses de Rubens étaient sincères ; mais, plus encore que chez la plupart des humanistes de son temps, on retrouve chez lui cette disposition alors assez commune qui, ainsi que l’a dit avec raison M. Faguet, permettait aux esprits cultivés « de rester catholiques pour ce qui était de la foi, et d’être dévots à l’antiquité pour ce qui était de la littérature, d’avoir une âme chrétienne et un art païen[1], » Avec un tempérament moins robuste et moins équilibré, de telles confusions se seraient traduites pas des tiraillemens dans la direction de la vie aussi bien que par des incohérences dans le talent. Mais les qualités maîtresses de Rubens, l’intelligence et la volonté, s’accordaient avec son sens pratique pour régler sa conduite. Si complexes que fussent les forces qui s’agitaient en lui, non seulement elles pouvaient co-exister, mais, loin de se neutraliser, elles se soutenaient mutuellement et concouraient à donner à ses œuvres comme à ses actions un caractère très puissant d’originalité et de décision. Peut-être même, à en juger par la prédominance des citations de philosophes et de moralistes de l’antiquité qui abondent dans sa correspondance, se sentait-il plus porté vers eux que vers les Pères de l’Église : Sénèque était un de ses auteurs favoris, un de ceux auxquels il empruntait le plus volontiers les maximes de moralité courante auxquelles il voulait conformer sa vie. Il a d’ailleurs résumé lui-même, sous une forme concise, son sentiment à cet égard dans le passage suivant d’une lettre écrite à Peiresc (4 septembre 1636) à propos d’une publication : Roma sotterranea, qu’il venait de recevoir d’Italie : « C’est un ouvrage plein de dévotion, lui dit-il, et qui nous fait bien connaître la simplicité de l’Église primitive qui, si elle est au-dessus de tout par sa piété et la vérité de ses croyances, le cède cependant et d’une manière infinie à l’antiquité païenne sous le rapport de la grâce et de l’élégance. »

Les heures de la matinée que Rubens s’était réservées constituaient probablement pour lui la plus longue et la meilleure

  1. Le XVIe siècle, par Emile Faguet, 1894.