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des Estampes de la Bibliothèque nationale, nous montrent avec quelle franchise et quelle entente des ressources propres à la gravure ont été faites ces corrections. A l’aide de quelques rehauts de gouache, le maître indique de quelle façon il faut éclaircir ou alléger le travail ; ou bien il se sert du pinceau et de la plume pour accentuer des ombres trop faibles, pour préciser ou pour rectifier des contours indécis ou peu corrects. Dans ces notations nettes et impératives, on sent la promptitude et la justesse du coup d’œil, la vivacité d’un esprit toujours en éveil qui voit vite le meilleur parti à prendre et le prescrit avec l’ascendant d’une autorité supérieure.

Son propre travail et les soins qui s’y rattachaient ont ainsi mené Rubens jusque vers le milieu du jour. À ce moment il prenait avec les siens une frugale collation. Ainsi que le remarque de Piles en son naïf langage, « il vivait de manière à pouvoir travailler facilement et sans incommoder sa santé. C’est pour cela qu’il mangeait fort peu à disner de peur que la vapeur des viandes ne l’empêchast de s’appliquer. » Grâce à cette sobriété, il pouvait presque aussitôt reprendre ses pinceaux et rester jusqu’à cinq heures dans son atelier. Après quoi, il montait quelque beau cheval d’Espagne pour se promener le long des remparts ou hors de la ville. Le reste de la journée appartenait à sa famille, à ses amis qu’il trouvait souvent chez lui à son retour et qu’il gardait à souper. Sa table était convenablement servie, mais sans aucun luxe, « car il avait une grande aversion pour les excès du vin et de la bonne chère, aussi bien que du jeu. » En revanche, un de ses plaisirs les plus vifs était la conversation et, avec un esprit aussi ouvert et aussi cultivé, les sujets d’entretien ne manquaient pas. Sans même parler de son art, il s’intéressait à tout, et il était capable de discourir avec une compétence parfaite sur une infinité de matières. Ainsi que pour ses lectures, il avait horreur du verbiage, des commérages, mais, retenant et classant dans sa mémoire les élémens essentiels des diverses connaissances, il découvrait les liens secrets qui les rattachent entre elles et mettait dans ses jugemens, avec le suprême bon sens qui lui était propre, une élévation et une simplicité qui charmaient tous ses interlocuteurs. C’est encore de Piles qui nous vante « son abord engageant, son humeur commode, sa conversation aisée, son esprit vif et pénétrant, sa manière de parler posée et le ton de sa voix fort agréable ; tout cela le rendait naturel, éloquent et persuasif. »