de pourpre, et l’abbé Bridier a raison de dire « que ce portrait illustre bien son caractère. » La taille droite et dégagée, soigneusement poudré, toujours rasé de frais, les traits réguliers, l’œil vif, les lèvres minces, l’air à la fois affable et résolu, il joignait l’autorité à la séduction, et il avait le don de gagner les cœurs. Il lui était si naturel d’inspirer la confiance que les hommes les plus réservés lui révélèrent quelquefois leurs plus secrètes pensées ; mais on n’est pas parfait : plus insinuant que pénétrant, il lui arriva souvent aussi de prendre les balivernes pour des secrets.
S’il avait affaire à un pape infiniment curieux, il avait lui-même le goût des commérages, des ragots. Il annonce au secrétaire d’État, le 26 décembre 1791, que le nouveau ministre de la Guerre, M. de Narbonne, surnommé Linotte, « a bu chez la Contat, célèbre actrice, treize bouteilles de Champagne, lui cinquième, qu’il est parti ensuite pour Metz, pour aller tâter l’armée, accompagné de plusieurs de ses semblables, et que Sa Majesté a dit : Voilà une belle carrossée. » Il mande, le 6 février 1702, « que M. Basire et le capucin Chabot, deux législateurs français, étant allés se délasser de leurs travaux nationaux chez une fille, sont devenus très malades, à un tel point que Chabot a failli périr... Le cas était si grave qu’on a parlé d’amputation ; il n’y aurait pas eu grand mal pour un capucin sorti de l’enfer. Cette anecdote est risible, mais elle est vraie. » Il rapporte dans cette même lettre que le roi de Prusse a dit au comte de Ségur, envoyé en mission à Berlin : « Vous êtes surpris du froid accueil que vous avez reçu de moi. Sachez que je n’ignore point que vous venez dans mes États d’une manière indigne d’une personne de votre caractère ; je sais que vous avez des lettres de change pour deux millions sur Berlin, pour un million sur la place d’Amsterdam et une grande quantité de diamans et de bijoux. Votre but est de corrompre ceux qui m’entourent. » Il ajoute que M. de Ségur, désespéré, s’est donné, en rentrant chez lui, trois coups de couteau. Cette histoire, qui était un roman, ne lui paraît point invraisemblable.
Il faut en convenir, habile à se renseigner, l’abbé de Salamon était absolument dénué d’esprit critique. En janvier 1792, il dénonce un dangereux complot, tramé dans le boudoir de Mme de Staël. A l’en croire, le petit comité qui se rassemblait chez cette femme redoutable avait proposé au conseil du roi d’envoyer à Londres, comme ministres accrédités, trois patriotes, l’évêque d’Autun, Rabaut Saint-Étienne et Bonnecarrère, chargés de conclure avec le gouvernement anglais une alliance contre l’Espagne.