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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/725

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indications de la mise en scène : « Au lever du rideau, Sextius est occupé avec les soldats à rassembler et à préparer des instrumens de torture épars sur le sol : tenailles, lames, carcans, ceps, fouets, etc. » Plus loin : « Blandine, vivement éclairée, est attachée à une croix. Ponticus est étendu à ses pieds sur un chevalet, entouré de bourreaux, armés de tenailles. Çà et là, dans l’arène, des cadavres. » A un endroit, le médecin Alexandre accourt « en levant des mains sanglantes » et en criant :


Cher légat, le plus fort n’est pas maître
De la douleur physique ; elle envahit tout l’être.
Alors, pour asservir ces nerfs injurieux.
Je me suis arraché les ongles... Trouve mieux !


Et ces vers sont immédiatement suivis de cette note :


(Les hurlemens recommencent dans la coulisse.)


Une seconde difficulté, pour l’auteur, était dans le caractère étrangement et violemment exceptionnel des sentimens et de l’héroïsme de ses personnages. Ils ont soif de souffrir (n’oubliez pas de quelles souffrances inouïes, démesurées et prolongées il s’agit ici). De cette disposition surhumaine, Renan donne ces explications : « L’exaltation et la joie de souffrir ensemble les mettaient dans un état de quasi-anesthésie. Ils s’imaginaient qu’une eau divine sortait du flanc de Jésus pour les rafraîchir. La publicité les soutenait. Quelle gloire d’affirmer devant tout un peuple son dire et sa foi ! Cela devenait une gageure, et très peu cédaient. Il est prouvé que l’amour-propre suffit souvent pour inspirer un héroïsme apparent, quand la publicité vient s’y joindre. Les acteurs païens subissaient sans broncher d’atroces supplices (?) ; les gladiateurs faisaient bonne figure devant la mort évidente, pour ne pas avouer une faiblesse sous les yeux d’une foule assemblée. Ce qui ailleurs était vanité, transporté au sein d’un petit groupe d’hommes et de femmes incarcérés ensemble, devenait pieuse ivresse et joie sensible. L’idée que le Christ souffrait en eux les remplissait d’orgueil et, des plus faibles créatures, faisait des espèces d’êtres surnaturels. » Et encore : « Ceux qui avaient été torturés résistaient étonnamment. Ils étaient comme des athlètes émérites, endurcis à tout... Le martyre apparaissait de plus en plus comme une espèce de gymnastique, ou d’écolo de gladiature, à laquelle il fallait une longue préparation et une sorte d’ascèse préliminaire. » Peu s’en faut que Renan ne dise : « Le martyre était un sport. » — Il est certain que, d’être regardé, c’est une grande force ; cela donne le courage de souffrir