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Esterhazy, accusé d’avoir commis l’acte pour lequel Dreyfus avait été condamné. Le commandant Esterhazy a été acquitté. Dès lors, la situation restait la même : il n’y avait aucune preuve juridique de l’erreur judiciaire que les partisans de Dreyfus soutenaient avoir été commise ; et l’affaire Esterhazy ayant eu son dénouement, et un dénouement négatif, n’avait pas pu en faire renaître une autre. Sans doute, en dehors des cas précis où la révision s’impose, l’initiative du garde des Sceaux, s’exerçant dans certaines conditions, pouvait reprendre l’affaire et aboutir à l’annulation de l’arrêt. Il aurait fallu pour cela que le garde des sceaux jugeât que des circonstances nouvelles, inconnues au moment du procès, avaient une gravité suffisante pour inspirer des doutes sérieux sur le bien fondé de la solution intervenue. Mais le garde des sceaux du cabinet Méline n’a manifesté aucune inquiétude de ce genre, qu’il se soit appelé M. Darlan ou M. Milliard ; et, loin de là, M. Méline lui-même et M. le général Billot n’ont cessé de répéter à la tribune que Dreyfus avait été « justement et légalement » condamné. Il était impossible d’en dire davantage, et le gouvernement qui est venu ensuite l’a bien montré, car, malgré son ardent désir de le faire, il n’y a pas réussi. Dès lors, on ne saurait trop le répéter, il n’y avait pas d’affaire Dreyfus. Nous parlons en droit pur, bien entendu, car, dans un pays aussi impressionnable que le nôtre, on ne peut pas empêcher les imaginations de s’échauffer et de s’exalter, et elles se sont extraordinairement échauffées et exaltées autour de cette affaire qui, juridiquement, n’existait pas.

C’est alors que, pour lui donner plus de substance, à propos de cette affaire on en a soulevé une autre toute différente, qui mettait en cause non plus l’arrêt du conseil de guerre, mais le conseil de guerre lui-même, et l’état-major général de l’armée. On a accusé le conseil de guerre d’avoir condamné « par ordre, « sans se préoccuper de savoir si l’accusé était coupable ou non, et cet « ordre « venait de l’état-major général. C’était une accusation d’infamie jetée sur le conseil de guerre et sur l’état-major, accusation qui a été bientôt suivie contre ce dernier de celle d’incapacité. On a fait retomber sur lui le poids de nos défaites passées ; on a même prédit des défaites futures pour les lui imputer par avance. Plusieurs personnes se sont Jetées à corps perdu dans cette campagne nouvelle ; mais celui qui en a pris la responsabilité principale, l’initiative, et la direction, est M. Zola. Que voulait-il, et que voulaient ceux qui l’ont suivi ? Ils s’attendaient bien à provoquer dans le pays une immense émotion, à soulever des indignations et des colères, à mettre le patriotisme en révolte et à troubler profondément