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du chauvinisme et de la rapacité annexionniste en Angleterre, l’armée anglaise est encore en Égypte après quinze ans. Lord Cromer est toujours le vrai maître d’un pays où les fonctionnaires indigènes de tout ordre sont doublés et régis par des employés britanniques. Il n’y eut pas jusqu’à la conquête du Soudan par le Mahdi qui ne contribuât à ce résultat. Gordon, tué à Khartoum, donnait à la revanche le caractère d’une obligation sacrée. C’est ainsi qu’il a été réservé à Gladstone d’ajouter l’Égypte au poids déjà intolérable de l’empire britannique et de jeter les germes d’une brouille avec la France. Avec la Russie, son sort fut le même. Les disputes de frontière en Afghanistan faillirent précipiter un conflit. L’ami de Mme de Novikof se vit à la veille de rompre avec le Tsar. Il eut peur de ces hasards. Il choisit son terrain pour tomber. Les conservateurs auxquels il passait la main n’étaient plus ceux de 1880. Beaconsfield était mort, Salisbury commandait. Le quatrième parti — ce petit groupe où siégeaient, avec M. Arthur Balfour, qui le quitta assez vite, lord Randolph Churchill, sir John Gorst et sir Henri Drummond Wolff — avait acquis, par la vivacité de ses attaques, le sans-façon de ses allures, son sans-gêne, à l’égard des vieilles barbes et la valeur de ses membres, une importance énorme. Son chef eut d’emblée un grand poste dans le cabinet. Celui-ci devait présider aux élections générales. Il s’agissait de savoir si l’entrée en scène de l’Angleterre rurale assurerait la victoire des libéraux. Les comtés leur donnèrent bien un beau contingent de suffrages : mais les bourgs leur faussèrent compagnie en masse, et Londres — oui, Londres — passa presque totalement dans le camp conservateur.

D’autre part, M. Chamberlain, après avoir joué dans le cabinet de 1880 un rôle double et suspect, venait de lancer à grand fracas son programme non autorisé. Il s’y posait en ultra-radical, en homme de la paix à tout prix ; il demandait la séparation de l’Église et de l’Etat, la suppression du suffrage multiple, l’abolition du régime de l’hégémonie anglo-saxonne en Irlande, la rançon de la propriété. En même temps, les nationalistes irlandais enlevaient près des cinq sixièmes des cent trois mandats de l’île-sœur. Fait capital. Convaincu depuis quelque temps de la légitimité du home rule, Gladstone s’était promis d’attendre que la possibilité lui en fût démontrée. Après une telle déclaration de la volonté nationale, à moins d’employer à l’égard de l’Irlande des moyens