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de Blücher déborder le flanc de l’armée française, mais lui-même restait sans soutien. On l’entendit murmurer : « — Il faut que la nuit ou les Prussiens arrivent ! » Déjà il avait dépêché vers Ohain plusieurs aides de camp, pour presser la marche du corps de Zieten. Mais sa résolution ne faiblissait pas. Des officiers arrivaient de tous côtés pour lui exposer la situation désespérée où l’on se trouvait et lui demander de nouveaux ordres. Il répondait froidement : « — Il n’y a pas d’autre ordre que de tenir jusqu’au dernier homme. »

Le flottement et le léger recul de la ligne ennemie n’avaient pas échappé au maréchal Ney. Mais ses soldats étaient aussi épuisés que ceux de Wellington. Il eût suffi, il le sentait, de quelques troupes fraîches pour les ranimer, les entraîner, vaincre la dernière résistance des Anglais. Il en envoya demander à l’Empereur par le colonel Heymès, « — Des troupes ! s’écria Napoléon, où voulez-vous que j’en prenne ? Voulez-vous que j’en fasse ? »

L’Empereur avait encore ses huit bataillons de vieille garde et ses sept bataillons de moyenne garde. Si, à l’instant, il en eût donné la moitié au maréchal Ney, on peut croire, de l’aveu même de l’historien anglais le mieux informé et le plus judicieux, que ce renfort aurait enfoncé le centre ennemi. Mais Napoléon, sans réserve de cavalerie, ne croyait pas avoir trop de tous ses bonnets à poil pour conserver sa propre position. Le moment n’était pas moins critique pour lui que pour Wellington. Sous une troisième poussée de tout le corps de Bülow, Lobau pliait, et la jeune garde, après une défense acharnée, se laissait arracher Plancenoit. Derechef, les boulets des batteries prussiennes labouraient le terrain près de la Belle-Alliance. Napoléon, déjà débordé sur son flanc, était menacé d’une irruption des Prussiens en arrière de sa ligne de bataille. Il fit former douze bataillons de la garde en autant de carrés et les établit face à Plancenoit, le long de la route de Bruxelles, depuis la Belle-Alliance jusqu’à Rossomme. Le 1er bataillon du 1er chasseurs fut maintenu au Caillou. Les généraux Morand et Pelet reçurent l’ordre de reprendre Plancenoit avec les deux autres bataillons, le 1er du 2e grenadiers et le 1er du 2e chasseurs.

Tambour battant, ces vieux soldats marchent au pas de charge, en colonnes serrées par pelotons. Ils dépassent la jeune garde que rallie Duhesme, abordent Plancenoit sur deux points,