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XII

Genappe n’était qu’une longue rue, montante et sinueuse, qui aboutissait à un pont sur la Dyle. Il eût été possible de tenir plusieurs heures ce défilé, bien qu’il fût dominé au nord par des hauteurs où se seraient établies des batteries prussiennes. Mais il y avait dans le village tant d’encombrement et de confusion que l’on ne pouvait songer à organiser une défense méthodique. Des voitures renversées, des fourgons, des prolonges, des pièces, des caissons abandonnés par les conducteurs auxiliaires obstruaient sur une assez longue étendue les abords du pont, qui avait, en 1815, tout au plus 2m 50 de largeur. Les fuyards s’engouffrant en masse dans la rue d’où ils ne pouvaient sortir que trois ou quatre de front, il se produisit une atroce bousculade. Rendus fous par l’épouvante, des hommes cherchaient à se faire jour en frappant devant eux. Le général de gendarmerie Radet, grand prévôt de l’armée, fut bourré de coups de crosse. La queue de la colonne s’amassa à l’entrée de Genappe. Les Prussiens approchaient. Les bataillons de la vieille garde, menacés d’être écrasés entre les masses ennemies et la foule des fuyards qui n’avançait plus, gagnèrent Charleroi en tournant le village à l’est. Les Prussiens ne les poursuivirent pas ; mais ils s’acharnèrent sur les troupeaux d’hommes immobilisés devant Genappe, Il fallut que ces malheureux fussent littéralement sous les lances des uhlans pour penser à s’échapper par la droite et la gauche du village et à passer la Dyle à gué. Cette petite rivière, qui n’a pas à cet endroit trois mètres de large et dont la profondeur n’atteint pas un mètre, n’est un obstacle que pour les voitures, à cause de l’escarpement des berges.

Genappe était toujours rempli de Français. Une poignée d’hommes. qui seuls, dans cette panique, avaient conservé leur résolution et leur courage, tentèrent d’arrêter l’ennemi. Ils élevèrent rapidement avec des chariots renversés une barricade d’où ils ouvrirent le feu. Quelques boulets eurent trop vite raison de ce faible ouvrage et de ses défenseurs. Les cavaliers de Roder dévalèrent la rue en pente, écrasant la multitude inerte des fugitifs, taillant et perçant dans le tas sans plus de risque que bouchers à l’abattoir. L’Empereur, qui avait mis, dit-on, plus d’une heure à se frayer passage en suivant cette longue rue, était