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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/78

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C’était le terme naturel de l’évolution des whigs. La défection de M. Chamberlain fut plus surprenante. A l’entendre dénoncer les témérités de son chef, on se sentait tenté de répéter en se frottant les yeux :


Quis tulerit Gracchos de seditione querentes ?


Tout un ensemble de raisons égoïstes et d’ordre personnel le décidèrent. Il commença par professer hautement qu’il demeurait fidèle à ses principes et ne se séparait que sur une question de détail, celle de l’exclusion des Irlandais. Ses anciens amis lui jouèrent le tour de le prendre au mot. Ils engagèrent avec lui des négociations restées célèbres sous le nom de Conférences de la Table ronde. Celles-ci n’eurent d’autre fruit que de ramener sir George Trevelyan. M. Chamberlain s’enfonça résolument dans sa voie nouvelle, tournant le dos à son passé, infligeant un démenti à chacun de ses actes, à chacune de ses paroles, et finissant par devenir membre d’un ministère tory et par s’y poser en candidat à la succession de lord Salisbury.

C’en était fait du projet de home rule. Gladstone tomba. Aux yeux de beaucoup, lamentable fin d’une grande carrière. Un caprice de vieillard avait détruit son autorité, compromis sa renommée, brisé l’instrument du progrès, sans d’ailleurs faire faire un pas à la question d’Irlande ; au contraire. Il semblait bien que ce fût la banqueroute irréparable. Ce que l’on ne pardonnait surtout pas à Gladstone, c’était la désagrégation du parti libéral. Incontestablement Gladstone a hâté cette dissociation. L’a-t-il seul causée ? Je ne le crois pas. Je pense qu’il y avait là une tendance irrésistible, une évolution fatale et que, si les fautes ou les erreurs d’un homme ont pu en précipiter le cours, des causes plus profondes ont agi. Elles ont déjà été indiquées. C’est la destinée du parti libéral de s’ensevelir dans son œuvre. Il ne peut faire que des ingrats, puisqu’en satisfaisant ses cliens, il fait d’eux des conservateurs. Toujours il aura contre lui les intérêts qu’il lèse, et les intérêts qu’il a trop bien servis pour qu’ils ne passent pas au camp de l’ennemi. La coalition de la grande propriété foncière et du capital mobilier, de la terre et de l’industrie, de l’aristocratie et de la bourgeoisie, était fatale, inévitable. En accomplissant le sacrifice que toute grande réforme exige, Gladstone n’a fait que rendre sa raison d’être au parti libéral, qui paraissait l’avoir perdue. La défection d’un Chamberlain, même suivi de sa famille et de sa clientèle, ne