l’attachait depuis soixante ans une union sans nuages, il menait dans son beau château de Hawarden la vie d’un lettré et d’un sage. Il avait déposé la hache du bûcheron au propre comme au figuré. La théologie, Homère, le Dante, Butler occupaient ses loisirs. Il ne sortit de sa retraite que pour rendre un dernier service à l’humanité. En septembre 1896, il prononça à Liverpool devant un auditoire de plusieurs milliers de personnes un grand discours en faveur de l’Arménie. Il plaida plus tard encore la cause de la Grèce, consacrant jusqu’au bout à sa clientèle de peuples les restes d’une voix qui commençait à tomber et d’une ardeur qui ne s’éteignit jamais. Chacun espérait qu’il prolongerait doucement ses jours. Tout à coup, un mal cruel et qui ne pardonne pas, vint le frapper. Il sut souffrir. Il fut doux et tranquille en face de la mort. La résignation supérieure avec laquelle il obéit au premier signe et se prépara à quitter le monde ennoblit ses dernières semaines. Il mourut lentement. Le chrétien apparut tout entier sur les ruines de l’homme mortel. Quand tout fut fini, l’humanité se sentit appauvrie et il sembla que la disparition de ce nonagénaire fût une surprise et un scandale. L’Angleterre lui a fait des funérailles dignes de lui, dignes d’elle. Le Parlement à l’unanimité lui a voté la simple et grande formule de deuil qui fut accordée à Chatham en 1778, à William Pitt en 1806. Il s’en est allé dormir son dernier sommeil à l’abbaye de Westminster, dans ce Panthéon où l’on prie, dans ce temple des gloires britanniques où la religion associe ses rites consolans aux pompes civiles, au milieu de ses pairs, au pied de cet autel d’où rayonna toujours pour lui la seule lumière qui ne trompe pas.
Voilà l’histoire de l’homme. C’est celle d’un pays et d’un siècle. Mieux que personne parmi ses contemporains, Gladstone a incarné l’Angleterre de son temps. L’unité de cette vie apparaît au-dessus de toutes ses variations. Gladstone a été un grand libéral, un radical, l’homme du progrès et du peuple, parce qu’il est resté un conservateur au sens profond et vital du mot. C’est parce qu’il a cru de toute son âme à la solidité des institutions sociales et politiques de l’Angleterre qu’il a osé combattre les abus et ériger un splendide édifice de réformes audacieuses. C’est parce qu’il avait foi dans le peuple et dans le trône, dans les masses et