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revenir au projet primitif, par la vallée de l’Amour. La preuve que le gouvernement russe n’y renonce nullement, en dépit de ces critiques excessives, a été donnée en avril 1898 par l’ordre du Tsar de commencer cette année même la construction du tronçon d’Onon à l’Argoun, qui se trouve sur le territoire de son empire. Des travaux préparatoires très importans ont déjà été entrepris pour la section située en pays chinois : on s’est préoccupé, comme en Sibérie occidentale, d’utiliser les voies d’eau pour créer plusieurs points de départ et, afin de pouvoir remonter le Soungari, on a commandé en Angleterre, à Newcastle-on-Tyne, de grands remorqueurs à fond plat, de deux pieds seulement de tirant d’eau, munis de machines fortes de 500 chevaux, qui remorqueront les barges portant les rails. Ceux-ci viendront d’Europe par Vladivostok et le chemin de fer de l’Oussouri ; les pièces qui doivent composer les remorqueurs arrivent par la même voie, et je voyais monter un de ces grands bateaux plats en septembre 1897, à Iman où la ligne de Vladivostok atteint l’Oussouri. Mieux encore que le Soungari où les bas-fonds rendent la navigation malaisée, il semble que l’Argoun pourrait aider à amener les matériaux du chemin de fer de Mandchourie, et l’on obtiendra, si on y a recours, six fronts d’avancement simultanés. Les dépenses de construction s’élèveront sans doute à 350 ou 400 millions de francs.

Si le gouvernement du Tsar a décidé d’exécuter la ligne de Mandchourie, ce n’est pas seulement en raison d’une abréviation de trajet incertaine, ni des plus grandes facilités techniques espérées, c’est encore et surtout à cause des grands avantages politiques que doit entraîner sa construction. Elle passe à moins de 500 verstes de l’extrémité nord du golfe du Petchili, dont elle est séparée par un pays relativement facile ; si l’on s’en était tenu à la ligne de l’Amour, on en restait à une distance double, et lorsque, après avoir fait un grand coude, on gagnait Vladivostok, on demeurait obligé, pour atteindre le Petchili, de franchir les montagnes confuses, presque inconnues même, dénuées de routes et d’habitans, qui s’étendent au nord des frontières coréennes. De la plaine du Soungari, la Russie peut aisément envoyer ses troupes à Moukden, à Newchwang et menacer Pékin ; de Vladivostok elle pouvait à peine songer à les envoyer par terre, et elle n’est pas maîtresse de la mer.

La convention russo-chinoise de 1896 prévoyait-elle autre chose que la construction du chemin de fer de Mandchourie ; stipulait-elle