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et seront chargés en wagon en ce point. Si le droit différentiel actuel était maintenu, la route maritime ne pourrait plus soutenir la concurrence de la voie ferrée ; s’il était entièrement supprimé, le résultat inverse serait produit ; il semblerait que la solution la plus juste fût de l’abaisser de façon à maintenir les deux modes d’importation sur un pied d’égalité en ce qui concerne les provinces du centre de l’Empire.

Le Transsibérien ne transportera donc pas beaucoup de marchandises en transit entre la Chine et l’Europe centrale et occidentale. Il pourra prendre une part appréciable dans le mouvement des échanges entre la Chine et la Russie elle-même, et contribuer à développer ce commerce, qui ne s’élève aujourd’hui qu’à 75 millions de francs[1]. Mais la facilité qu’il donnera aux voyages ne sera pas sans avoir son contre-coup économique. En dépit du télégraphe, dont l’usage est restreint par son prix démesuré, il n’est pas sans intérêt pour les entreprises des Européens en Extrême-Orient qu’une lettre mette 16 à 18 jours au lieu d’un mois ou cinq semaines pour arriver d’Europe en Chine ou au Japon. Il est d’une très grande importance que les hommes puissent s’y rendre plus vite, plus fréquemment et en plus grand nombre. L’intérêt fiévreux avec lequel tous les Européens qui résident dans les ports ouverts suivent les progrès du Transsibérien, témoigne de l’influence qu’il aura sur le développement de l’Extrême-Orient. La révolution économique produite par le plus long des chemins de fer ne se bornera donc pas à la mise en valeur du pays qu’il traverse, si considérable que soit déjà ce résultat ; il rendra singulièrement plus forts les liens qui se nouent entre les deux extrémités du vieux monde. Enfin, répondant à la pensée de ses premiers initiateurs, il augmentera puissamment les moyens d’action de l’Europe sur l’Asie. Dès qu’il a été entrepris, le centre de la politique et des ambitions européennes s’est transporté du Levant méditerranéen dans l’Extrême-Orient ; les événemens qui viennent de se dérouler cet hiver dans ces mers lointaines ne sont que les premières conséquences de la construction du Transsibérien.


PIERRE LEROY-BEAULIEU.

  1. Le commerce extérieur de la Chine est de 1 375 millions de francs au total (1897).