Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une ville, 40 000 locaux de réunion. Il procure à 200 000, 300 000, 500 000 citoyens, 40 000 foyers de communication. Supprimez le marchand de vins, et ces 40 000 foyers de communication n’existent plus. Rétablissez-le, et ils existent. Or, un débit de vins, outre le débit même, comporte ordinairement une salle attenante, où se tiennent, de fondation, toutes les réunions politiques, municipales, électorales, syndicales ou corporatives du quartier ; et ces salles, à Paris, grandes ou petites, sont innombrables. Toutes les fois qu’on se rassemble pour étudier, organiser ou désorganiser quelque chose, c’est dans la salle d’un marchand de vins. Feuilletez les journaux spéciaux, les relevés administratifs, et vous y noterez chaque jour, chez les débitans, les plus nombreuses réunions : « le Comité central électoral de la 2e circonscription du XIIe arrondissement, salle Gauthier… Le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire du XIe arrondissement, café de la Poste… Le Comité socialiste de la 2e circonscription du Xe arrondissement, salle du Petit Tambour… Le Groupe d’études sociales du IVe arrondissement, salle Danjou… Le Comité républicain progressiste de la 1re  circonscription du XIIIe arrondissement, salle Brégigeou… La Ligue antisémitique, 7, rue Lantonnet… Le Groupe central socialiste révolutionnaire du XVIIe arrondissement, salle Carel, etc., etc. » Cent, cent cinquante, deux cents, trois cents, quatre cents comités, ligues, cercles, groupes, se retrouvent ainsi au cabaret, et grâce au cabaretier. Les grands meetings ont souvent lieu dans les préaux d’écoles ou les théâtres de quartier, mais toutes les réunions préparatoires, celles où le candidat prend un premier contact avec les électeurs, et leur donne, pour ainsi dire, comme une sensation choisie et préliminaire de sa personne, se tiennent chez le marchand de vins. Là se rendent et discutent les délégations, les commissions, les sous-commissions ; là on se concerte, là on se tâte, là on complote ; là se donnent, pour la bonne cause, des sauteries et des concerts. Un avocat et un chimiste, au cours d’une période électorale, s’étaient entendus pour donner une conférence, aux environs de la Villette, dans la Salle des Deux Canons. Le sujet choisi était le « Vin » lui-même, et l’avocat devait traiter la question légale, lorsque le chimiste aurait traité la question chimique. Le chimiste, seulement, par une espièglerie de chimiste, s’amusait à prendre le sujet au point de vue du Droit, et faisait ainsi d’avance la conférence de l’avocat. Mais un avocat n’est jamais en retard,