avec nos habitudes d’esprit modernes, nous façonnés par une éducation artistique, vieille de tant de siècles, qui mettons sur ces visages, en le tirant de nous, ce que nous y retrouvons, qui prêtons au sculpteur notre propre façon de voir et de sentir, et attribuons à une forme un sens, à une ligne une intention, à un détail une valeur à laquelle celui-ci n’avait guère songé. Ainsi, même en ce début du Ve siècle, malgré les progrès considérables de l’art et les œuvres déjà si intéressantes qu’il produit, quand il s’agit de rendre un contemporain, homme ou femme, la convention pèse encore tyranniquement, on peut dire, sur la main de l’artiste. Néanmoins cet art ne serait pas l’art grec, s’il restait stationnaire. Il ne se borne plus, comme au temps des Apollons archaïques, à mettre une inscription au bas de la statue, pour que le personnage s’y nommant fasse connaître son identité et nous apprenne s’il est dieu ou mortel. Il emploie un procédé plus savant : il donne à ses figures des attributs différens. Veut-il représenter une prêtresse ; il lui place une couronne dans la main droite, un vase à parfum dans la main gauche. De la sorte, le sculpteur pouvait exécuter ses œuvres à l’avance. Au dernier moment, quand l’acheteur venait lui faire la commande, il mettait aux mains de sa statue des attributs en rapport avec la personne qui consacrait son image, et la statue devenait aussitôt cette personne elle-même.
C’est peu de chose encore : il n’y a pas à s’en étonner. Quand on observe, dans des temps plus rapprochés de nous, de quelle façon s’est fait le réveil des arts au moyen âge, peut-on croire qu’il n’ait pas fallu aux Grecs de nombreuses années pour conquérir un peu d’indépendance vis-à-vis de la matière et ne plus être opprimé par elle ? Ces premières victoires sont les plus difficiles. La sculpture funéraire était capable pourtant de favoriser le développement du portrait : c’est sur une tombe surtout, pour rappeler d’une vive manière le souvenir du défunt, que l’on désire une image ressemblante, des traits fidèles. Ainsi l’avaient compris les Egyptiens, qui copiaient, avec la conscience et le scrupule que l’on sait, la figure de leurs morts. Mais la sculpture funéraire était de l’art industriel, et, comme telle, restait plus attachée qu’une autre, aux traditions et à la routine de l’atelier. Ce n’est pas de ce côté que nous trouverons des innovations. Et je ne parle pas seulement de vieux monumens, comme une stèle de Tanagra élevée à la mémoire des amis Dermys et Kitylos, où,