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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/913

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de la tombe, un certain caractère divin. Intermédiaire entre les dieux et les hommes, il devient un héros. Le sculpteur était donc conduit à prêter à tous ces défunts héroïsés un même type idéal ; et plus les stèles dressées sur les tombeaux étaient travaillées avec soin et dépassaient le niveau de la simple industrie pour atteindre au grand art, plus aussi elles reproduisaient les traits du mort sous des formes générales et nobles. Les portraits en bas-relief qui les décorent sont donc privés de tout accent individuel, nullement ressemblans. Seuls certains attributs les distinguent entre eux, rappellent la condition sociale des personnages ou leurs goûts d’autrefois. Xanthippos le cordonnier tient une forme à chaussures ; la jeune Mynno, une corbeille à laine auprès d’elle, file sa quenouille ; un jeune homme est représenté avec son oiseau et son chat ; Hégéso tire d’un coffret, que lui tend une de ses femmes, une parure qu’elle contemple longuement, avec regret. Ou bien, dans des scènes d’une douleur grave et résignée, le défunt échange une poignée de main avec quelqu’un des siens. La plus grande distinction et la plus exquise élégance éclatent sur ces visages. La beauté sereine, la grâce majestueuse des marbres du Parthénon est descendue jusqu’à eux.

Mais, chose plus inattendue, voici des portraits d’hommes d’État, de stratèges, d’orateurs, de poètes, de philosophes, et ce même reflet de grandeur tout idéale est aussi posé sur leur front. Vers le temps de la guerre du Péloponnèse, Athènes prend l’habitude d’élever des statues, non plus aux seuls athlètes, dont la gloire lui semble maintenant insuffisante, mais aux grands hommes qui, dans tous les ordres de la pensée, travaillent à lui conquérir la vraie suprématie, celle de l’intelligence, et font d’elle, selon le mot de Thucydide, l’école de la Grèce, ou, comme on disait encore, le cœur de l’Hellade (Ἐλλάδος Ἐλλὰς Ἀθῆναι). Ceux-là ont surtout vécu par le cerveau, par la tête. Ce que cherchera donc à rendre l’artiste, ce sera leur être intellectuel et moral, leur visage en un mot où transparaît leur âme ; et du coup il atteindra, semble-t-il, ce qui est la perfection même du portrait : une étude très précise et serrée de la forme vivante, une entière soumission à l’original, pour faire saillir à l’aide des traits extérieurs la personnalité intime du modèle.

Il y atteindrait en effet, si l’idéalisme de Phidias n’était pas tout-puissant sur l’esprit de son temps. La réalité, pour un Grec du Ve siècle, n’est que plate et médiocre. Elle rampe, elle ne vole pas.