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Nous ne passerons pas en revue toutes les œuvres où éclate cette tendance : ce n’est point notre tâche. Retenons seulement quelques exemples, les plus caractéristiques. Et d’abord l’homme d’État qui a le plus favorisé ce merveilleux mouvement. d’art du Ve siècle, Périclès lui-même. Trois bustes de Munich, de Rome et de Londres le représentent, dérivés d’un même original qui était sans doute l’œuvre célèbre du sculpteur Crésilas. Tous trois prouvent la préoccupation qu’a eue l’artiste d’éviter ce qui était particularité trop individuelle, détail ne servant pas à l’expression du caractère ; et au contraire d’appuyer sur tout ce qui pouvait traduire une certaine conception a priori du rôle de ce grand orateur. Gravité douce, noblesse des sentimens, élévation de la pensée, par-dessus tout majesté incomparable, toutes ces qualités respirent dans cette figure aux lignes si pures et si régulières. Il y a plus. Périclès est représenté dans le complet épanouissement de toutes ses facultés, par suite dans ses années de pleine maturité et presque à l’apogée de sa carrière. On se l’imagine volontiers au moment où il prononce l’oraison funèbre des guerriers morts dans la première année de la guerre du Péloponnèse, c’est-à-dire bien peu de temps avant de mourir lui-même. Aucun indice pourtant sur son visage de l’âge relativement avancé auquel il est alors arrivé. Ses traits gardent comme la fleur d’une éternelle jeunesse, jeunesse sérieuse, empreinte de sérénité et de calme.

Le buste d’Alcibiade au Vatican est d’une époque plus récente et se rapporte assez exactement aux dernières années du Ve siècle. Mais, bien que d’une exécution plus libre, il a été conçu dans le même sentiment : même expression reposée du visage, même calme du regard. Rien, sur les traits, de cet air volontiers insolent et présomptueux, de cette hauteur de grand seigneur, de cette superbe confiance en soi qui distinguent l’Alcibiade historique. Rien non plus qui rappelle l’élégant débauché des nuits d’Athènes. A peine la lèvre intérieure pleine et grasse et le menton développé révèlent-ils quelque sensualité. L’artiste prend ici avec la vérité des libertés plus grandes qu’il ne faisait tout à l’heure. Dans le buste de Périclès, il accentuait seulement certains trails que lui fournissait son modèle ; il mettait en meilleure lumière ce qui déjà se laissait voir de soi-même ; cette fois, il transforme. Si les données de l’histoire lu ; concordent point avec l’impression de parfaite beauté qu’il poursuit, il n’hésite pas à