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de Lysippe, Lysistratos. « Le premier, dit Pline, il imagina de reproduire l’image d’un homme par un moule appliqué sur son visage même… Il obtint ainsi des épreuves à la ressemblance exacte des personnes, alors qu’avant lui on n’avait jamais cherché qu’à faire des images aussi belles que possible[1]. » Pline exagère bien un peu. Lysistratos a eu des précurseurs dans cette voie du réalisme : l’exemple de Démétrios, que nous citions tout à l’heure, le prouve suffisamment. Mais par son invention, il complétait l’œuvre de son frère. Lysippe avait indiqué le but à poursuivre, l’imitation de la nature vivante ; Lysistratos enseignait une manière commode, pratique de l’atteindre, en mettant à la portée de tous un procédé d’une précision infaillible. Désormais, accidens de la physionomie, détails individuels, déformations du visage, rien n’échappera à l’artiste des particularités de son modèle. On pouvait aller fort loin sur cette pente où l’on s’engageait, — et en effet on alla très loin.

Pas tout de suite cependant ni brusquement. Car, dès l’abord, les portraits d’Alexandre nous donneraient un démenti. Répétons ici que l’histoire n’est jamais aussi simple qu’on se plairait à l’imaginer pour les facilités d’une exposition. De même que précédemment, au plus fort de l’influence de Phidias, derrière la conception idéaliste perçaient de loin en loin les duretés du réalisme ; de même, à présent, malgré la prédominance de la conception naturaliste, nous aurons à constater, jusque vers la fin, bien des survivances de la tradition contraire. En art, rien ne meurt tout à fait. Il y a des périodes de moins brillante lumière, d’obscurité même plus ou moins longue ; il n’y a jamais d’extinction complète. Et pour commencer par ces images d’Alexandre, bien qu’elles fussent l’œuvre même de Lysippe, l’artiste observateur et précis, qui a le plus contribué à l’évolution artistique de cette époque, il se trouve, à en juger par les imitations qui nous sont parvenues, qu’elles étaient certainement embellies, idéalisées, plus rapprochées de l’ancien esprit que du nouveau. Il est vrai qu’il s’agissait d’Alexandre, le vainqueur des Perses, le conquérant de l’Asie, le fondateur de la monarchie la plus vaste qu’on eût jamais connue. Ce héros, ce demi-dieu, fils de Zens, ne fallait-il pas le représenter avec des traits plus purs et plus nobles que dans la réalité, lui donner une apparence sinon divine, au moins plus qu’humaine ?

  1. Pline, Histoire natuelle, XXXV, 153.