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comiques Ménandre et Posidippe, en tout cas des Athéniens de la première moitié du IIIe siècle ; l’un, véritable homme du monde, la figure ouverte, le regard perçant et clair, le front haut, la bouche légèrement railleuse ; l’autre, maladif et inquiet, l’air gauche, l’expression concentrée et chagrine. Citons encore Epicure avec sa grande figure maigre et pâle d’ascète, où la souffrance physique qui le torturait se marque par la contraction de la bouche, les paupières appesanties, le regard voilé et d’une résignation douloureuse ; Chrysippe, dont l’aspect chétif, le visage défait, les yeux faibles et clignotans, très enfoncés, les cheveux rares et négligés, donnent bien l’idée de ce qu’était ce petit homme pâli sur les livres, écrivain intarissable, trop absorbé dans les dissertations stoïciennes pour songer à sa toilette ; Antisthène le cynique, fier de ses cheveux et de sa barbe incultes, Théophraste le moraliste, Aratos l’auteur de poèmes astronomiques, bien d’autres, qu’il n’est pas toujours possible d’identifier, mais qui sont certainement aussi des littérateurs ou des savans de ce siècle : l’époque multipliait leurs images à profusion.

Ce sont cette fois des figures iconiques, des portraits, de véritables portraits, dans toute la force du terme. Dans tous quelle franchise d’observation et quelle sincérité d’accent ! Comme l’on sent l’étude du modèle, l’imitation directe de la vie ! Nous sommes loin de la beauté conventionnelle du Ve ou du IVe siècle. On ne recule pas devant la difformité, même la laideur : on veut avant tout être vrai. Sachons cependant quelle est la qualité de ce naturalisme, et qu’il n’a rien de brutal. L’artiste, je le disais, n’a pas entièrement répudié l’ancien esprit grec ; et c’est heureux pour lui. Il ne vise pas à la vérité de. la forme pour la forme elle-même, mais pour atteindre à la vérité du caractère. Ce qu’il cherche, sous les apparences sensibles, c’est l’âme, la seule chose intéressante. Quelle est donc la différence avec les maîtres du Ve siècle ? C’est que ceux-ci imaginaient la personnalité morale plus qu’ils ne l’observaient ; ils l’interprétaient d’après un certain idéal a priori. Là était l’erreur.

Il faut interpréter, mais sur les seules données fournies par la nature ; le point de départ reste l’observation. Le sculpteur hellénistique ne l’ait pas autre chose ; il se place devant le modèle et le laisse se révéler lui-même à ses yeux. Il ne rend rien qui n’ait été vu. Mais le tout est de bien voir ; car chaque trait n’a pas une importance égale. Combien de jeux de physionomie qui ne