Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 août.


Le prince de Bismarck est mort le 30 juillet dernier. Depuis lors, les journaux du monde entier sont pleins de lui et il y occupe autant de place qu’à l’époque la plus florissante de sa vie. Nous arrivons un peu tard pour dire quelque chose d’inédit sur sa personne ou sur sa politique. Quoique le sujet soit abondant et vaste, il est un peu épuisé ; mais tout porte à croire qu’il se renouvellera, et que nous n’en avons pas fini avec les confidences du redoutable et vindicatif chancelier. Il n’était pas encore enseveli dans son cercueil que sa lettre de démission à l’empereur était publiée par un journal, et causait dans toute l’Allemagne une très vive émotion. Elle ne disait pourtant rien de bien imprévu, rien qui ne fût connu ou n’eût été deviné ; mais elle précisait, avec la force que M. de Bismarck mettait dans tout ce qui sortait de sa plume, les points sur lesquels des dissidences s’étaient produites entre l’empereur et lui. Quelques-uns étaient très graves. À défaut de ceux-là, d’autres seraient venus, un peu plus tôt ou un peu plus tard, mettre la brouille entre deux hommes qui ne pouvaient pas vivre longtemps ensemble. On a dit avec raison qu’il n’y avait pas place pour deux autocrates dans un même pays. L’un ou l’autre devait disparaître.

L’empereur était le plus fort, il était le maître, il a congédié sans beaucoup de formes l’illustre homme d’État qui, plus que personne, avait contribué à la création de l’unité allemande et à l’établissement de l’empire. L’événement s’est accompli avec une facilité dont le monde a été surpris. L’Allemagne a sans doute été émue, mais elle a contenu et caché son émotion, et le prince de Bismarck a été mis à la retraite comme un fonctionnaire qui a atteint la limite d’âge. La terre n’a pas tremblé ; les choses ont continué d’aller, au moins en apparence, comme auparavant ; l’empereur, qui avait pris hardiment en main les rénes du gouvernement, les a tenues d’une main ferme, et n’a donné depuis aucun signe d’hésitation ou d’embarras. Le prince de Bismarck a constaté de son vivant qu’on pouvait se passer de lui,