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« L’état matériel s’améliore ; le progrès intellectuel s’accroît ; cependant les nations, au lieu de profiter, s’amoindrissent (et la société n’est pas moins menacée par l’expansion de l’intelligence que par le développement de la nature brute)[1] : d’en vient cette contradiction ?

« C’est que nous avons perdu dans l’ordre moral. En tout temps, il y a eu des crimes, mais ils n’étaient point commis de sang-froid, comme ils le sont de nos jours, en raison de la perte du sentiment religieux. À cette heure, ils ne révoltent plus, ils paraissent une conséquence de la marche du temps ; si on les jugeait autrefois d’une manière différente, c’est qu’on n’était pas encore, ainsi qu’on l’a affirmé, assez avancé dans la connaissance de l’homme ; on les analyse actuellement ; on les éprouve au creuset, afin de voir ce qu’on en peut tirer d’utile, comme la chimie trouve des ingrédiens dans les voiries. Les corruptions de l’esprit, bien autrement destructives que celle des sens, sont acceptées comme des résultats nécessaires ; elles n’appartiennent plus à quelques individus pervers ; elles sont tombées dans le domaine public. »

Il cherchait alors le remède à ce mal ; il examinait ceux que d’autres proposaient ; il souscrivait à quelques-uns de ceux qu’imaginait Lamennais, un autre de vos compatriotes ; et finalement, n’en voyant pas d’efficaces qui ne fussent une « laïcisation » de l’idée chrétienne, il disait encore :

« Mes investigations m’amènent à conclure... qu’il est impossible à quiconque n’est pas chrétien de comprendre la société future poursuivant son cours et satisfaisant à la fois ou l’idée purement républicaine, ou l’idée monarchique modifiée.

« Au fond des combinaisons des sectaires actuels, c’est toujours le plagiat, la parodie de l’Évangile, toujours le principe apostolique qu’on retrouve : ce principe est tellement entré en nous, que nous en usons comme nous appartenant, nous nous le présumons naturel, quoi qu’il ne nous le soit pas ; il nous est venu de notre ancienne foi... Tel esprit indépendant qui s’occupe du perfectionnement de ses semblables n’y aurait jamais pensé si le droit des peuples n’avait été posé par le Fils de l’homme. Tout acte de philanthropie auquel nous nous livrons, tout système que nous rêvons dans l’intérêt de l’humanité n’est que l’idée chrétienne retournée, changée de nom, et trop souvent défigurée : c’est toujours le Verbe qui se fait chair. »

Et il terminait enfin, par cette « confession » en même temps que

  1. La phrase que je mets entre parenthèses est tirée d’une autre page des Mémoires. On ne peut pas tout citer !