Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains pieuses se sont trouvées pour l’entretenir, pour l’activer ou l’assoupir suivant la saison, afin qu’il puisse au besoin réchauffer le corps des malades et attiédir leur boisson. Sur ce doux brasier, le souffle des doutes et des révoltes, le vent des révolutions, les meurtrières tempêtes, ont passé sans l’éteindre.

Il est difficile de reconnaître plusieurs pièces signalées dans l’état des lieux originaire, tant leur structure et leurs dispositions ont changé. La chambre de Sainte-Anne, celle de « Monseigneur Sainct Jehan-Baptiste, » celle de Sainte-Marthe, « l’Enfermerie des Povres malades qui sont en dangier de mort, » ont perdu leur nom et leur affectation. Le réfectoire des sœurs, leur ouvroir, leur bibliothèque ou librairie, l’antique apothicairerie, où régnèrent des dynasties de pharmaciens et de médecins attachés de père en fils à l’hospice, ont conservé leur destination première. Tout le monde s’accorde aussi à reconnaître que la cuisine n’a jamais changé de place ; c’est l’une des curiosités de l’hôtel.

La salle est carrée, grande, voûtée, avec des ouvertures ogivales et des vitraux anciens. Une cheminée monumentale déploie sur l’un des côtés son large enfoncement, et sa tablette porte des étains d’un dessin étrange, aussi âgés que l’hôtel : des aiguières semblables à des alambics, des coquemards à anses en forme de bras, des pots ventrus, des récipiens obèses, simulant de grotesques rotondités humaines, avec de jolis détails d’ornementation : car l’ingéniosité de nos vieux artisans ne se complaisait pas seulement à façonner des caricatures de métal, à modeler des facéties ; autour des plus prosaïques détails de la vie domestique, elle mettait une caresse et un enveloppement d’art.

La crémaillère à trois branches, qui subsiste au fond de la cheminée, passe pour merveille en son genre : le petit automate qui est censé mouvoir le tourne broche, fait la joie du public. Haut de quelques pouces, il est vêtu à la façon d’un maître-queux d’autrefois. En justaucorps rouge et haut-de-chausses gris, en bonnet blanc, son ample chevelure floconnant sur ses épaules, il se penche sur la tige de fer qu’il tient des deux mains et dont il accompagne un instant le mouvement ; puis, il se redresse et, avant de recommencer son effort, se tourne à droite et à gauche, avec une gravité comique, et promène sur son empire un regard satisfait. Bertrand, — c’est le nom du personnage, — est populaire dans la contrée et passe pour le génie familier du lieu, mais les amateurs de haute antiquité le dédaignent. Aussi bien, il ne date pas de la