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Et le train file et le train vole
Avec ses gros yeux qui font peur,
Le train file à toute vapeur
Comme une bête à moitié folie.

Un vent mauvais semble frémir
Dans les verdures qu’on effleure ;
J’entends comme une âme qui pleure…
Mon Dieu ! si je pouvais dormir !

Toujours, toujours, toujours la bête
Aux crocs baveux, aux flancs repus !
Toujours ces mots interrompus
Qui s’entrechoquent dans ma tête !

Les lourds pays indifférens
Montrent un coin de leur visage ;
La tristesse du paysage
Répond à mes rêves errans.

 — Mais qu’est-ce ? — On dirait de la joie.
Tout n’était donc pas mort encor.
Un trait rose, une barre d’or,
Et l’infini rit et flamboie.

Ce bleu tendre, ce bleu divin !
Qu’ai-je vu ? C’est la mer immense
Où tout finit et recommence,
Que nul jamais n’invoque en vain.

O consolatrice du monde !
Puissante mer, ô grande mer !
Si j’ai quelque chose d’amer,
Qu’il se noie en ton eau profonde !

Dame de songe et de langueur,
Ensorceleuse de la brume,
Ce n’est que dans ton amertume
Que je pourrai laver mon cœur !