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dans le domaine économique que l’Allemagne porta ses efforts et déploya son énergie. Constamment, graduellement, la prospérité du nouvel empire grandit, et l’expansion allemande commença. Comme un homme pauvre qui, devenu opulent, change son genre de vie, ses relations et jusqu’à ses opinions, l’Allemagne enrichie dut modifier sa politique. Dans la direction de ses affaires extérieures, elle dut tenir compte d’élémens nouveaux, veiller sur des intérêts plus compliqués. En Océanie, en Afrique elle a acquis des territoires ; ses vaisseaux marchands sillonnent toutes les mers, ils vont jusque dans les parages lointains de la Chine, porter les produits de l’industrie germanique ou se livrer aux opérations lucratives du cabotage. Des milliers et des milliers d’Allemands, trop-plein d’une population prolifique, essaiment par le monde, aux Etats-Unis, dans l’Argentine, au Chili, en Syrie, de véritables colonies qui, devenues grandes et riches, conservent leur langue et leurs journaux, tendent à se souder les unes aux autres, et deviennent comme les pierres d’assise de l’édifice futur de la « Grande Allemagne. » Cet état de choses nouveau a créé pour le gouvernement des nécessités nouvelles. Les affaires du monde viennent maintenant retentir à Berlin comme elles retentissent à Londres, à Pétersbourg, à Paris, au Vatican ; l’Allemagne porte ses regards au-delà de ses frontières européennes jusque vers ces immenses étendues de terres inexploitées où un avenir indéfini semble réservé à la race germanique ; sa frontière de Lorraine et celle de Pologne, sans cesser de l’occuper, ne l’occupent plus uniquement ; sa politique est devenue une politique « mondiale » (weltpolitik).

Voilà l’évolution qu’a merveilleusement comprise et énergiquement favorisée l’empereur Guillaume II. A défaut d’actes, il suffirait pour le prouver de son discours de Kiel. Cette harangue, romantique de forme, mais d’une précision troublante si l’on en pèse les termes, venant après le coup de force de Kiao-tchéou, en dit long sur les tendances et les ambitions de la politique allemande. Le voyage à Jérusalem sera une étape nouvelle vers les mêmes buts.

L’Allemagne a la puissance militaire, elle a la puissance économique ; elle aura bientôt la puissance maritime, mais elle a besoin de l’appui des forces morales : sur la scène du monde, elle ambitionne de représenter un principe. Fonder sa prééminence universelle sur la protection du christianisme protestant et