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de tant d’étoffes et en tel nombre que, certainement, elle en fait un habituel usage.

On ouvre la porte au chien favori, car, seul, Fortuné a eu le privilège de coucher dans la chambre de sa maîtresse et d’en disputer l’entrée à Napoléon ; mais, tout laid qu’il était, bas sur pattes, long de corps, moins fauve que roux, avec un nez de belette et seulement du carlin le masque noir et la queue en tire-bouchon, Fortuné était à sa maîtresse dès 1793, et, aux Carmes, c’était sous son collier que l’on cachait les billets d’avertissement ou de salut. Fortuné disparu, étranglé à Mombello par le gros chien du cuisinier, Joséphine a pris une chienne à laquelle elle s’est si vivement attachée que, pour une maladie de cette petite bête, elle a appelé le plus célèbre médecin de Milan, Moscati. Cela mit Moscati en rapports avec Bonaparte et fit sa fortune : on le vit président du Directoire cisalpin, député à la Consulte de Lyon, directeur général de l’Instruction publique, comte, grand dignitaire de la Couronne de fer et sénateur du Royaume, pour n’avoir point dédaigné une telle cliente. A la petite chienne succéda un nouveau carlin qui, dès le voyage de Dieppe, en l’an XI, avait sa place marquée dans la voiture de suite. C’était un personnage fort au courant de l’étiquette, qui ne manquait point, lorsque la femme de garde-robe se retirait après le coucher de l’Impératrice, de la suivre, quelle qu’elle fût, dans sa chambre, où il se tournait sur une chaise et restait tranquille jusqu’au matin. Alors, sans empressement, il descendait dans le salon d’annonce ; sans impatience, il attendait qu’on ouvrît chez sa maîtresse et, aussitôt, il se précipitait avec des airs de folie joyeuse et mille démonstrations de tendresse. Un braque de la plus petite espèce, que M. de Colbert avait offert, ne parvint point, malgré ses talens de chasseur, à détrôner le carlin ou plutôt les carlins, car il y avait un ménage. Eux morts, il y eut un de ces petits chiens-loups, si vifs, si gais, si tendres, qu’on avait envoyé de Vienne à Joséphine, un de ces loulous à poil noir ébouriffé dont l’intelligence affectueuse est égale à la jalousie. Ces chiens qui avaient leur bonne particulière, la femme La Brisée, et dont l’entretien allait certaines années (1806) à 568 francs, mais se tenait d’ordinaire entre 350 et 450 francs, ne quittaient point l’Impératrice de tout le jour, se couchaient près d’elle sur le canapé où elle leur faisait un coussin de son cachemire, annonçaient les visiteurs aussi bien et mieux que les chambellans et les huissiers, se montraient fort