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sa gloire, c’est en donnant à son peuple les triomphes et les richesses, qu’il compte prévenir les crises redoutables et détourner les catastrophes menaçantes. C’est en faisant l’Allemagne très grande que Guillaume II entend élever, au-dessus des ambitions mesquines et des vaines agitations parlementaires, la sereine majesté du pouvoir impérial.


II

Il est singulièrement instructif de constater, en rapprochant les dates, qu’en Allemagne la fin du Culturkampf a coïncidé avec les débuts de l’expansion coloniale. Il semble que M. de Bismarck ait voulu, au moment où il engageait son pays dans la voie des conquêtes d’outre-mer, rétablira l’intérieur la concorde troublée par les lois de mai et ménager une entente entre le siège de saint Pierre et le nouvel empire d’Occident. Ce fut à l’occasion d’un litige aux îles Carolines, entre l’Allemagne et l’Espagne, que le choix du pape comme arbitre ouvrit une ère nouvelle de relations pacifiques entre le Chancelier de fer et le « Prisonnier » du Vatican. Avec son génie pratique, M. de Bismarck, qui avait cru nécessaire de briser le catholicisme pour achever l’unité allemande, entrevit que son pays aurait tout à gagner à une entente avec le Saint-Siège ; il comprenait mieux, à l’heure où le prodigieux exode des colons commençait à répandre partout des provins de la race germanique, la nécessité de ménager une puissance religieuse qui exerce son action dans le monde entier. En-outre, il lui semblait opportun de se rapprocher de Rome au moment où la France, dont il épiait avec jalousie le relèvement, s’engageait dans la guerre contre le « cléricalisme, » et menaçait de rompre les liens séculaires qui unissaient l’Eglise à sa « fille aînée. » Il suivait avec une attention joyeuse, — on affirme même qu’il encourageait, — l’éclosion chez « l’ennemi héréditaire » de ce fléau du Culturkampf dont il avait éprouvé toute la force de décomposition, toute la puissance délétère. Et tandis que ceux qui conduisaient la France, restés des hommes de parti quand ils auraient dû être des hommes d’Etat, nous lançaient à l’exemple de la Prusse dans l’épuisante série des luttes religieuses, le gouvernement de Berlin, changeant de tactique, fit sa paix avec Rome ; — et, parce que c’était l’intérêt de sa patrie, le prince de Bismarck alla à Canossa.