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les émigrans contre les appels qui leur seraient adressés pour la province de Rio-Grande-del-Sul, au Brésil ; et, sous la discrétion volontaire du style officiel, on constate que, dans cette province, la colonie qui leur est assignée est un lugubre cimetière d’Italiens. Mais il en est de ces circulaires comme de ces lois florentines dont parle Dante :


A mezzo novembre
Non giunge quel che tu d’ottobre fili ;


et l’éphémère durée de ces documens ministériels ne saurait protéger des centaines de milliers d’êtres humains contre l’acharnement prolongé de la souffrance. Quant à la loi sur l’émigration, faite en 1888, et dirigée surtout contre les abus de confiance commis par les agens recruteurs, elle prévient ou gêne les manœuvres frauduleuses dont les émigrans pourraient être victimes avant le départ, mais ne peut naturellement avoir aucune répercussion sur leur lointaine destinée. Il convient d’ajouter, au demeurant, qu’elle ne semble pas avoir sensiblement entravé l’industrie des agens d’émigration, puisque, de 5 172 qu’ils étaient en 1892, ils s’élevaient en 1896 au chiffre de 7 169, répartis entre 34 agences.

Les débats auxquels cette loi donna lieu mirent en plein relief une certaine indécision de l’opinion publique italienne au sujet des avantages et de l’opportunité de l’émigration ; et cette indécision même explique, en grande partie, la lenteur évidente avec laquelle les pouvoirs publics organisent un mouvement qu’un certain nombre d’hommes politiques et d’économistes jugent nuisible à l’intérêt national. Multiplier les bureaux réguliers de renseignemens, développer les attributions des consuls à l’endroit des émigrés, essaimer les offices consulaires dans les diverses provinces de l’Amérique du Sud, et mettre ainsi des représentans de l’État à la portée du travailleur italien, ce serait, en définitive, encourager et faciliter l’émigration. Or, elle a ses ennemis, et ils sont nombreux. Les grands propriétaires, dans l’Italie méridionale, voient d’un œil inquiet la hausse des salaires, conséquence certaine de la diminution des bras ; et l’exode des paysans, qui dépeuple d’êtres humains le marché sur lequel ils engageaient des journaliers, leur fait l’effet d’une atteinte à la prospérité de leur fortune : dès 1869, pressentant l’imminence de ce phénomène plutôt qu’ils ne le constataient encore, ils commençaient à se plaindre. À leurs réquisitoires suggérés par l’intérêt personnel,