camarades. Si tel est le danger sur un sol simplement bourbeux, que l’on juge de ce qu’il peut être sur les escarpemens qui entourent le Pamir quand le verglas les enduit. Privée de ces utiles auxiliaires, une caravane est condamnée à n’emporter que bien peu de vivres ; les chevaux sont loin de soutenir les longs jeûnes dont s’accommode le chameau, et l’orge nécessaire à leur nourriture arrive à constituer, pour peu de jours, la totalité du poids qu’ils peuvent porter. La ration normale d’orge, on le sait, est de 7 kilogrammes par jour, et nous devions rester quinze jours sans pouvoir nous ravitailler. Il fallait en outre transporter nos armes, nos bagages, nos vivres et nos personnes, sans compter nos instrumens et les collections à former en route. Il y avait là un problème peu facile à résoudre et que je soumets à la sagacité de tous les officiers de cavalerie.
Nous décidâmes d’emporter seulement une petite réserve d’orge pour les jours où l’on camperait sur la neige ou une glace épaisse, à des altitudes supérieures à la limite de toute végétation. Les autres jours les chevaux devaient chercher leur nourriture en grattant le sol gelé, de façon à y découvrir quelques racines de chiendent ou d’autres plantes analogues. Les animaux suffisamment sobres pour s’accommoder d’un pareil ordinaire sont assez rares ; il faut qu’ils aient été élevés dans des conditions spéciales. On m’en amena un certain nombre qui devaient être excellens, si l’on admettait pour eux la nécessité de racheter par leurs qualités morales leurs défauts physiques. Il est vrai que parmi leurs qualités figurait en première ligne le bon marché : le plus cher d’entre eux ne me coûta que cinquante francs. Ces animaux sont plus petits que ceux de la plaine : ils ne mesurent que 1m, 25 à 1m, 45 ; leur poil est hérissé et leur peau généralement fort entamée par les charges qu’ils ont portées. Leurs pieds présentent une anomalie singulière : ils sont fortement évidés en dessous et dissymétriques, comme ceux des chamois et des bouquetins ; un côté du sabot est généralement beaucoup plus haut que l’autre, ce qui leur permet de se cramponner au flanc des rochers. Mais sur un terrain plat, leurs pieds sont complètement tournés et ils le sont tous d’un même côté, soit à droite, soit à gauche, c’est-à-dire que l’un des pieds de devant par exemple est en dedans et l’autre en dehors.
Après deux journées employées à passer une inénarrable révision de tous les chevaux de montagne, tous plus tarés les uns