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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/25

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comme au dedans, les visées de Guillaume II et le tirer de graves embarras. Depuis longtemps l’empereur se rendait compte que l’essor économique et le développement des colonies entraînent comme une conséquence inéluctable la nécessité coûteuse d’une flotte de guerre ; et il n’avait pas hésité à demander ce sacrifice au patriotisme du Reichstag. Mais ce souverain, dans ses conceptions d’avenir, va plus vite que son peuple. Cette politique hardiment pratique, dissimulée souvent et comme à plaisir sous des apparences romanesques, à demi dévoilée en des discours étranges et volontairement sibyllins, effraye la timidité pacifique des bourgeois allemands. Ils estiment déjà bien lourdes les charges imposées par le « militarisme, » et volontiers ils se passeraient du très onéreux avantage de posséder une puissante marine. Au printemps de 1897, l’opposition du Centre fit, malgré l’insistance de l’empereur, rejeter par le Parlement la loi sur le septennat maritime et l’augmentation de la Hotte. Un conflit aigu s’ensuivit. L’empereur jurait qu’il aurait ses croiseurs, le Reichstag s’entêtait à les lui refuser ; la situation était grosse de périls : le massacre de deux missionnaires au Chan-toung permit à Guillaume II de trancher d’un seul coup toutes ces difficultés.

Lorsqu’il reçut la nouvelle de l’assassinat, Mgr Anzer était en Allemagne[1] ; il courut au palais impérial. Guillaume II le reçut avec empressement, lui donna son portrait et lui promit d’obtenir prompte justice du meurtre des deux religieux : le sang des martyrs allait coûter cher au gouvernement chinois. Le crime avait été commis le lor novembre ; le 14 l’amiral de Diederichs débarquait des troupes à Kiao-tcheou et « le Michel allemand plantait fermement sur le sol son bouclier orné de l’aigle impérial. » Le Fils du Ciel ne tardait guère à sanctionner par une convention ce que la force avait usurpé. Guillaume II, fort de ce succès, se hâta d’en tirer parti. — Mystérieusement, Mgr Anzer partit pour Rome et sollicita du Vatican un acte officiel qui ratifierait le fait accompli et reconnaîtrait le protectorat allemand. — En même temps une escadre

  1. Mgr Anzer était déjà venu à Berlin en 1896 ; sur sa demande, l’empereur avait ordonné aux agens allemands de lui prêter un appui énergique pour établir une mission à Yen-tchéou, ville sainte où les Chinois révèrent le berceau de Confucius. Mgr Anzer et ses religieux entrèrent solennellement à Yen-tchéou, le 8 septembre 1897, précédés par les mandarins en grand costume. Ce fut peu de semaines après que Mgr Anzer arriva en Europe et que périrent les missionnaires Nies et Henlé.