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nulle comme Joséphine. La toilette achevée, c’est là la distraction favorite : certes, modistes et bijoutiers en profitent le plus, les luthiers, les peintres, les sculpteurs, les libraires, les marchands d’estampes, les ébénistes, les porcelainiers, attendant sans doute chez eux les grosses commandes, celles qui sont d’une sorte d’utilité pratique ; mais tout ce qui est de fantaisie, tout ce qui peut s’apporter sous le manteau, qui n’exige point des voitures de déménageurs, vient s’entasser au Salon des marchands. Combien de pauvres hères faméliques laissent un dessin, un ivoire sculpté, un bout de mosaïque, attendent six mois et viennent après réclamer le prix intégral qu’ils assignent à leur œuvre, ou tout le moins une indemnité ou une aumône ! Et les marchands de jouets mécaniques, combien en passe-t-il ? Ils portent avec eux leur chef-d’œuvre, le remontent en présence de l’Impératrice qui s’en amuse, ne peut résister à le faire voir, à en distraire les personnes qui viennent la visiter. Le jouet est admis dans les appartemens, fait l’admiration d’un enfant, et, sans se soucier du prix, Joséphine le donne. Des beaux et rares jouets aux enfans des grands officiers de l’Empire, à ses petits-fils, à ses nièces, cela est tout simple, mais les solliciteurs pauvres qui, pour attendrir l’Impératrice, ont amené leurs enfans, se trouvent assez embarrassés quand, au lieu d’un brevet de pension ou d’une bonne gratification, ils ont à emporter un oranger artificiel, un singe qui joue du violon ou un buisson de fleurs habité d’oiseaux chantans.

L’abus est si criant que, dans le Conseil d’administration de la Maison du 28 février 1806, l’Empereur dicte cette décision : « On doit défendre à toute personne de la Chambre de Sa Majesté l’Impératrice de recevoir dans les appartemens aucuns meubles, tableaux, bijoux et autres effets qui seraient remis par des marchands ou par des particuliers ; ces marchands ou particuliers ainsi que les meubles, tableaux, effets qui parviendraient par une voie quelconque doivent être renvoyés à l’Intendant. »

L’empereur fait mieux : à la même époque, et pour arrêter le scandale des prix surfaits dont l’Impératrice est victime, il prend ses mesures lui-même. Jusque-là, sans doute, les mémoires présentés par les fournisseurs sont établis en demande et, avant de payer, des réductions sont ordonnées sur l’ensemble, mais le système de vérification diffère pour chaque article, et l’on rabat au plus 10 pour 100. A partir de 1806, où l’Empereur paye pour la quatrième fois les dettes de sa femme, les réductions proposées par la Dame d’atour