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parfois installées par contenance a une table de loto, l’Impératrice prenait une tapisserie où elle semblait travailler en suivant une vague conversation, ou bien, avec un grand dignitaire ou un de ses chambellans, elle faisait une partie de trictrac. Elle y jouait bien et très vite, en savait tout l’étrange vocabulaire et se plaisait, en le parlant, à embarrasser son adversaire. Aussi bien, tout jeu lui était bon, et, aux cartes, elle excellait aussi, comme il arrive aux hasardeuses et aux inoccupées : elle aimait donc fort le whist et eût sans doute encore préféré des jeux moins savans, mais ils n’étaient point de mise.

Elle n’avait guère le temps au surplus de jouir de sa distraction favorite : on venait l’avertir que l’Empereur la demandait et elle quittait tout. Souvent, quand il était couché, il lui demandait de lui lire quelque roman, car il aimait le bercement de cette voix chantante aux claires notes argentines ; il était singulièrement sensible à cette joliesse de voix, seul agrément que sa femme eût presque gardé tel qu’autrefois et, à l’écouter, tout le passé d’amour remontait à son souvenir et amollissait son cœur.

Endormi, elle redescendait, et comme elle aimait se coucher tard, quelque temps, elle avait essayé de retenir ses dames et des hommes de la Cour en faisant servir du thé, mais cela avait déplu à l’Empereur. Elle se contentait à présent de reprendre et d’allonger le plus qu’elle pouvait sa partie de trictrac et, avant minuit, tout le monde était retiré.

C’était alors la toilette de nuit, fort longue, car elle y mettait autant de coquetterie qu’à sa toilette de jour. « Elle y était aussi élégante », a dit l’Empereur, et « elle avait de la grâce, même en se couchant. »

Cette vie que Joséphine mène à Paris, l’Empereur présent, n’est presque point plus distraite, s’il est absent. L’étiquette est la même et la surveillance exercée est continue. Si l’Impératrice s’avise d’aller en loge grillée, accompagnée pourtant de son service, rire à quelque petit théâtre, tout de suite, fût-ce des confins de la Russie, une réprimande arrive. « Il ne faut pas aller en petite loge aux petits spectacles. Cela ne convient pas à votre rang. Vous ne devez aller qu’aux quatre grands théâtres et toujours en grande loge. » S’émancipe-t-elle dans ses réceptions : « Je désire que tu ne dînes jamais qu’avec des personnes qui ont dîné avec moi, que la liste soit la même pour les cercles, que tu n’admettes